Ce qu’il faut retenir
La conférence parisienne de soutien à la paix dans la région des Grands Lacs a débouché sur une enveloppe de 1,5 milliard d’euros destinée aux plus vulnérables. Médicaments, denrées et moyens de subsistance doivent renforcer l’autonomie alimentaire et économique de millions de foyers.
Sous l’impulsion du président français Emmanuel Macron, Paris entend relancer la coopération Nord-Sud tout en respectant la souveraineté des États riverains. L’annonce intervient alors que le plan humanitaire onusien, évalué à 2,5 milliards d’euros, n’était financé qu’à 16 %.
Contexte régional des Grands Lacs
La région couvre principalement la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Sa mosaïque de volcans, mines et forêts constitue un trésor stratégique, mais la superposition de groupes armés, de rivalités communautaires et d’enjeux transfrontaliers entretient une instabilité chronique.
Dans l’Est congolais, la résurgence du M23, la porosité des frontières et la compétition pour le coltan compliquent toute réponse humanitaire. Or les déplacements massifs de familles, souvent sans abri en saison des pluies, pèsent désormais lourd sur les finances régionales et internationales.
Un milliard et demi d’euros promis
Autour de la table parisienne, bailleurs multilatéraux, agences onusiennes et treize chefs d’État africains ont aligné engagements et promesses. Les experts du ministère français des Finances parlent d’un « signal de confiance » susceptible d’attirer des fonds complémentaires des institutions régionales comme la BAD.
Pour la France, l’essentiel n’est pas seulement de décaisser rapidement. Un suivi trimestriel des dépenses, couplé à des audits conjoints avec l’Union africaine, doit garantir la traçabilité. D’après l’Élysée, 60 % des montants passeront par des ONG locales afin de stimuler l’emploi communautaire.
Logistique : Goma et couloirs sécurisés
L’autre annonce phare concerne l’aéroport de Goma. Fermé aux vols civils de jour lors des récentes offensives, il rouvrira bientôt pour des appareils humanitaires de petit gabarit. Le génie militaire français appuiera les travaux, en concertation avec l’Autorité de l’aviation civile de Kinshasa.
Des couloirs sécurisés, inspirés de ceux mis en place au Sahel, sont également prévus. Ils relieront Goma à Bunia puis à la frontière ougandaise. L’objectif est de réduire les délais d’acheminement de vivres de neuf jours à trois, tout en limitant les détournements de carburant.
Plan humanitaire de l’ONU sous-financé
Le coordinateur humanitaire de l’ONU a rappelé que seuls 400 millions d’euros avaient été versés sur les 2,5 milliards requis pour 2025. Les conséquences se mesurent déjà : pénurie de kits d’assainissement à Bukavu, rationnement des protéines dans plusieurs camps du Sud-Kivu.
Les agences craignent un doublement des cas de malnutrition sévère chez les moins de cinq ans d’ici la fin de l’année. Le Fonds mondial pour l’alimentation scolaire note que 42 % des enfants déplacés ne reçoivent qu’un repas par jour, contre 28 % l’an dernier.
Les déplacements forcés en chiffres
Selon le HCR, la zone Afrique de l’Est et Grands Lacs comptait 26,3 millions de personnes déplacées de force fin 2024, dont 20,7 millions d’originaires de la seule RDC. En 2025, les estimations nationales évoquent déjà sept millions de déplacés internes supplémentaires.
Les causes varient : violences intercommunautaires, aléas climatiques et expulsions liées à la ruée minière. Les experts de l’Université de Kisangani observent un glissement progressif vers les zones forestières, avec pour corollaire un risque accru de déforestation et de conflits hommes-faune.
Scénarios à court terme
Dans l’immédiat, trois scénarios se dessinent. Premier scénario : les financements sont décaissés en temps voulu et stabilisent l’Est congolais, offrant une fenêtre pour le dialogue régional déjà amorcé sous l’égide de l’UA. Ce cadre reste le plus souhaité par les chancelleries.
Deuxième scénario : l’enveloppe tarde à se matérialiser et la lutte contre les groupes rebelles pâtit d’un manque d’approvisionnement, prolongeant l’insécurité. Troisième option, plus critique : l’aide économique se heurte à la corruption endémique et accentue les tensions politiques à la veille des scrutins locaux.
Et après ? Les enjeux durables
Les observateurs soulignent qu’un succès humanitaire ouvrirait la voie à des investissements d’infrastructure, notamment les corridors ferroviaires Mombasa-Kisangani et Lobito-Dar es-Salaam. « La paix est toujours le meilleur climat des affaires », rappelle un diplomate congolais, convaincu que la sous-région peut redevenir un hub logistique.
À Paris, les négociateurs affirment qu’un comité de suivi trimestriel sera co-présidé par la France et la CEMAC, reflétant l’implication des capitales d’Afrique centrale comme Brazzaville. La démarche illustre une diplomatie de solidarité tournant le dos aux anciennes approches de conditionnalités unilatérales.
Le point juridique et économique
Sur le plan juridique, les juristes congolais réclament une adaptation des codes miniers pour sécuriser les communautés affectées. Un avant-projet prévoit de consacrer 5 % des redevances provinciales à un fonds social géré de manière participative. Les bailleurs saluent cette innovation alignée sur les normes OCDE.
Économiquement, la relance des cultures vivrières figure en tête des priorités. Plusieurs start-up agrotech testent des drones de semis et des stations solaires d’irrigation au Nord-Kivu. Ces solutions pourraient doubler les rendements de manioc et réduire la dépendance aux importations de maïs venues de Tanzanie.
La prochaine revue des engagements est fixée à Nairobi en février 2026, avec un tableau de bord public. Les organisations de la société civile espèrent y voir figurer des indicateurs genre-sensibles, gage d’une reconstruction inclusive et durable des territoires sinistrés.
