Ce qu’il faut retenir
La Banque mondiale alloue près de 280 millions de dollars pour appuyer la préparation et la riposte aux urgences sanitaires dans quatre États d’Afrique centrale et à la CEMAC. L’initiative veut passer de la réaction isolée à la coordination régionale structurée.
Cameroun, République du Congo, Tchad et République centrafricaine bénéficieront d’un guichet financier destiné à renforcer surveillance, laboratoires et formation du personnel de santé, notamment féminin, selon le spécialiste santé de la Banque mondiale, Innocent Nukur.
Leçon des crises récentes
L’architecture du programme puise dans les traumatismes d’Ebola et du COVID-19, deux épisodes qui ont mis en lumière la fragilité des chaînes logistiques et la carence de ressources humaines qualifiées en épidémiologie au sud du Sahara.
L’approche régionale répond à une évidence géographique : les virus traversent les frontières plus vite que les procédures administratives. Mutualiser alertes et stocks stratégiques est devenu impératif pour éviter la répétition de fermetures économiques coûteuses.
Focus sur la République du Congo
À Brazzaville, le ministère de la Santé accueille favorablement l’enveloppe. Un conseiller confie que le financement permettra d’actualiser le plan national d’urgence et d’équiper les laboratoires départementaux en PCR de dernière génération.
Le Congo, membre fondateur de la CEMAC, mise sur la plateforme régionale pour partager données épidémiologiques en temps réel et harmoniser les protocoles d’intervention, un pas supplémentaire vers l’intégration sanitaire prônée par le président Denis Sassou Nguesso.
Le point juridique/éco
Le crédit repose sur l’Association internationale de développement à taux concessionnel, préservant la soutenabilité de la dette. Chaque État signera un accord spécifique encadrant les montants consacrés aux infrastructures, à la formation et aux achats de fournitures.
Pour la République du Congo, le ministère des Finances rappelle que ces décaissements sont comptabilisés dans la stratégie budgétaire à moyen terme et qu’ils n’entravent pas les objectifs de convergence macroéconomique fixés avec le FMI.
Contexte régional
En Afrique centrale, les dépenses publiques de santé plafonnent autour de 2,5 % du PIB, en dessous du seuil de 5 % recommandé par l’OMS. Les écarts budgétaires creusent les inégalités d’accès, accentuées par l’éloignement des zones frontalières.
La CEMAC, dont le siège est à Bangui, veut faire de la santé un pilier de la relance post-pandémie. Le programme financé par la Banque mondiale servira de laboratoire pour tester une coopération appelée à s’étendre à la pharmacopée.
Formation : priorité au leadership féminin
Le volet ressources humaines réserve un accent particulier aux femmes. Innocent Nukur souligne que la pandémie a montré « l’importance d’équipes diversifiées pouvant dialoguer avec les communautés » et que les bourses prévoiront des quotas pour les étudiantes en épidémiologie et sciences vétérinaires.
Des centres de simulation seront construits à Yaoundé et à Brazzaville afin d’offrir une formation pratique à la gestion des flambées, de la collecte d’échantillons à la communication de crise, étape souvent négligée.
Scénarios
Dans l’hypothèse d’une nouvelle épidemie virale transfrontalière, le protocole prévoit un fonds d’intervention rapide mobilisable en 48 heures. Les équipes nationales pourraient ainsi disposer de consommables critiques avant l’apparition d’une courbe exponentielle.
Si les taux de morbidité restent faibles, le financement permettra néanmoins d’améliorer la surveillance des zoonoses, enjeu grandissant avec la pression anthropique sur les forêts du bassin du Congo.
Et après ?
La Banque mondiale conditionne une tranche additionnelle à l’évaluation à mi-parcours prévue dans vingt-quatre mois. Les indicateurs porteront sur la réduction du temps de détection, la couverture vaccinale et la proportion de femmes formées.
À Brazzaville, l’espoir est qu’un succès régional ouvre la voie à une mutualisation des achats de vaccins, réduisant la facture pour les budgets publics et attirant des investisseurs privés dans la production locale.
Le projet offre enfin une plateforme de dialogue entre ministères de la Santé, de l’Élevage et de l’Environnement, condition nécessaire au paradigme One Health que la CEMAC ambitionne d’inscrire à son prochain plan stratégique.
Pour les décideurs et investisseurs, la lisibilité des politiques régionales peut réduire le risque perçu et attirer l’implantation de services spécialisés, de la télémédecine à l’assurance santé inclusive.
Vers des laboratoires de référence
La mise à niveau des laboratoires comprendra l’acquisition d’automates de biologie moléculaire, la maintenance régulière et des systèmes d’alimentation de secours, condition sine qua non pour garantir des analyses fiables malgré les coupures d’électricité fréquentes dans certaines capitales.
Un réseau numérique reliera les plateformes nationales pour transmettre les résultats aux centres de décision, réduisant ainsi le délai entre la confirmation d’un cas et le lancement d’une campagne de sensibilisation sur les radios communautaires.
Voix d’expert
Pour le médecin épidémiologiste congolais Jean-Bruno Makaya, « la valeur ajoutée du projet réside dans la formation continue ; sans compétences, les équipements ne sont que de la ferraille coûteuse ». Son analyse rejoint l’accent mis par la Banque mondiale sur le capital humain.
Makaya estime toutefois que la durabilité passera par l’implication des collectivités locales dans la maintenance des infrastructures, afin d’éviter les éternelles scènes d’ambulances immobilisées faute de pièces de rechange.