Un symbole national qui dialogue avec la diplomatie culturelle
Niché dans le deuxième arrondissement de Bangui, le musée national Barthélemy Boganda demeure, depuis 1966, l’un des tout premiers espaces d’exposition voués à l’art et aux traditions populaires d’Afrique centrale. Sa localisation dans l’ancienne résidence du fondateur de la République centrafricaine n’est pas fortuite : elle rappelle que, dès les premières heures de l’indépendance, la culture fut pensée comme vecteur d’un soft power régional. À la différence de nombreux établissements créés durant la même période, cette institution a rapidement privilégié le dialogue interculturel, faisant du patrimoine un langage diplomatique avant la lettre. Les diplomates en poste à Bangui s’accordent encore aujourd’hui à reconnaître que le musée est « un lieu d’échanges qui transcende les contingences politiques », pour reprendre les mots d’un conseiller culturel de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale.
Mémoire et construction identitaire au cœur de la collection
Le fonds originel, constitué sous l’impulsion des ethnomusicologues Geneviève Dournon et Simha Arom, se concentrait sur les archives sonores des années 1960 et sur une remarquable collection d’instruments. Au fil du temps, l’éventail s’est élargi : bijoux ritualisés, ustensiles de la vie quotidienne, masques initiatiques ou encore tenues de guerre documentent la pluralité des groupes ethnolinguistiques qui composent la Centrafrique. Dans une salle consacrée à Barthélemy Boganda, les visiteurs découvrent la valise restée fermée lors de son ultime voyage en 1959 et la machine à écrire sur laquelle il formula ses premières esquisses de projet républicain. Selon Abel Kotton, actuel directeur du musée, « chaque objet est porteur d’un récit de résilience et d’universalité ». L’institution contribue ainsi à forger un récit civique commun, élément indispensable à la cohésion nationale.
Un atout économique possible pour le tourisme régional
Au-delà de sa mission mémorielle, le musée Boganda pourrait servir de levier au développement touristique, secteur encore embryonnaire dans le pays. L’inscription par l’UNESCO, en 2003, des polyphonies pygmées Aka au Patrimoine immatériel de l’humanité offre une base narrative puissante pour attirer les visiteurs internationaux en quête d’authenticité. Les projections initiales du ministère du Tourisme tablent sur un triplement de la fréquentation d’ici à cinq ans si la réhabilitation aboutit. L’expérience congolaise, où la restauration du musée Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza a permis de dynamiser l’économie créative locale sans jamais heurter la fibre nationale, est souvent citée comme exemple de succès régional.
Conserver dans un contexte climatique et sécuritaire exigeant
Si le potentiel est indéniable, les défis techniques demeurent considérables. L’hygrométrie tropicale fragilise bois et fibres, tandis que les variations de température accélèrent la corrosion des métaux. Les perturbations électriques, fréquentes dans le quartier, compliquent la mise en place d’une climatisation stable. À ces contraintes matérielles s’ajoute une dimension sécuritaire : la protection des œuvres repose encore largement sur une surveillance humaine, alors que les dispositifs électroniques tardent à être installés. « Nous devons conjuguer précaution scientifique et réalisme budgétaire », observe un expert de l’ICCROM invité par le gouvernement centrafricain lors d’une mission d’évaluation.
Vers une réhabilitation partenariale et graduelle
Le projet de modernisation, chiffré à 4,8 millions d’euros, privilégie une approche modulaire afin de limiter les interruptions d’activité. Un premier volet, déjà financé par l’Agence française de développement, concernera la stabilisation des réserves et la numérisation des archives sonores, dans la droite ligne de la Convention de 2005 sur la diversité culturelle. Les autorités centrafricaines comptent également sur la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, ainsi que sur des partenariats bilatéraux, notamment avec le Congo-Brazzaville qui, fort de son savoir-faire muséographique, s’est dit prêt à apporter une expertise technique pour la muséographie interactive. La coopération Sud-Sud apparaît ici comme un vecteur de solidarité culturelle et de rayonnement régional.
Sauvegarder le patrimoine pour consolider la paix
La réhabilitation du musée Barthélemy Boganda transcende la seule restauration d’un bâtiment. Elle se situe au croisement de la diplomatie culturelle, de la consolidation de la paix et de la diversification économique. Dans une région encore marquée par les turbulences, le geste patrimonial devient un acte de confiance envers l’avenir. À l’instar de plusieurs capitales africaines qui ont placé la culture au centre de leur stratégie de stabilité, Bangui entend rappeler que préserver la mémoire collective, c’est aussi investir dans un dialogue qui dépasse les frontières et apaise les tensions. En fédérant experts internationaux, bailleurs régionaux et autorités nationales, le projet s’inscrit dans une démarche constructive, respectueuse des souverainetés et porteuse d’espoir pour l’ensemble du Bassin du Congo.