Le repas solidaire, un rituel à haute portée symbolique
Le 30 juillet dernier, le quartier Mpaka, dans le 3ᵉ arrondissement TiéTié de Pointe-Noire, s’est transformé en vaste agora populaire. Sous l’impulsion de l’Association des jeunes mères du Congo (AJMC), dirigée par Michaelle Moutouari Tchicamboud, plusieurs centaines d’habitants ont partagé un déjeuner fraternel baptisé « Un repas pour tous ». L’événement, appelé à se renouveler chaque mercredi, ambitionne d’ancrer dans la pratique un principe cher aux autorités congolaises : le Vivre-ensemble. En offrant la table plutôt que la tribune, l’AJMC privilégie la convivialité comme première étape d’une formule de solidarité qui conjugue nutrition, dignité et dialogue social.
Au-delà de la dimension humanitaire, l’initiative fait écho à la stratégie nationale de cohésion impulsée depuis plusieurs années par le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso. En promouvant la paix sociale à l’échelle micro-territoriale, l’association épouse la vision gouvernementale d’une société civile forte et partenaire de l’action publique. L’édile de TiéTié, présent lors du lancement, a d’ailleurs salué « une contribution exemplaire à l’harmonie communautaire » (Radio Pointe-Noire).
Un volontarisme féminin au service de la cohésion nationale
L’AJMC, créée par et pour des femmes, s’inscrit dans la montée en puissance du leadership féminin congolais. Qu’elles distribuent des repas, forment des étudiants ou dotent des agricultrices de matériel, les jeunes mères mobilisent des ressorts peu visibles mais décisifs du tissu social : la capacité de soin, l’organisation informelle et la mémoire des solidarités intergénérationnelles. « Nos actions partent du principe que la paix commence dans la famille, puis s’élargit au voisinage », souligne Michaelle Moutouari Tchicamboud. En mêlant maternité et engagement citoyen, l’association outrepasse les stéréotypes et crée un espace où la diplomatie domestique devient moteur de développement local.
Cette approche rejoint l’Agenda 2063 de l’Union africaine, qui met l’accent sur la participation des femmes aux processus de décision. Elle complète aussi le Programme national de développement 2022-2026, dans lequel le gouvernement congolais identifie la promotion du genre comme condition de la compétitivité économique.
Mpaka, laboratoire des politiques sociales congolaises
La municipalité de Pointe-Noire n’ignore pas le potentiel d’une telle dynamique. Avec près d’un million d’habitants, la capitale économique concentre à la fois les opportunités et les vulnérabilités : exode rural, pression démographique, informalité galopante. Un repas collectif hebdomadaire paraît mince face à ces défis, mais il s’érige en indicateur avancé d’une société capable de réponses communautaires rapides.
Les autorités préfectorales y voient un terrain d’expérimentation. D’après une note du ministère des Affaires sociales consultée par nos soins, plusieurs projets pilotes — cantines scolaires, jardins partagés, bourses d’apprentissage — pourraient être adossés à la logistique déjà mise en place par l’AJMC. L’association passerait ainsi du statut d’initiatrice à celui de catalyseur, ce qui confirme la tendance congolaise à la coproduction des politiques publiques entre État et société civile.
La synergie société civile–État, un partenariat sans exclusive
Consciente que la pérennité dépend de financements diversifiés, l’AJMC dialogue avec les collectivités, les entreprises pétrolières implantées dans la zone et les représentations diplomatiques intéressées par des programmes de responsabilité sociale. La Banque de développement des États de l’Afrique centrale a signalé sa disponibilité à étudier un appui, tandis que le Programme alimentaire mondial, déjà actif dans le Kouilou voisin, suit le dossier avec intérêt.
Ce maillage cible un double bénéfice : soulager, à court terme, la vulnérabilité alimentaire de centaines de familles, et, à moyen terme, structurer une filière locale d’approvisionnement capable de soutenir l’agriculture péri-urbaine. L’initiative gagne ainsi une dimension économique qui rejoint les objectifs de diversification prônés par Brazzaville.
Vers une diplomatie du développement communautaire
Pour nombre d’observateurs étrangers, la démarche revêt une portée diplomatique tacite. Dans un contexte où la stabilité régionale demeure précieuse, montrer une société civile active, féminisée et solidaire offre une carte de visite persuasive auprès des partenaires internationaux. Un diplomate africain en poste à Brazzaville remarque : « Ces actions en bas de l’échelle donnent un visage concret aux engagements macroéconomiques pris par le gouvernement ».
Le repas de Mpaka dépasse donc la simple distribution calorique pour devenir un élément de soft power. Il met en scène la capacité du Congo-Brazzaville à articuler politiques publiques et initiatives citoyennes, sans heurts ni rivalités.
Quels horizons pour « Un repas pour tous » ?
Le chantier reste vaste. À très court terme, l’AJMC doit sécuriser un approvisionnement régulier et garantir la chaîne du froid — enjeu logistique majeur sous climat équatorial. À moyen terme, il s’agira de former des relais communautaires afin que chaque secteur de TiéTié puisse, en autonomie, organiser son jour de distribution. À long terme enfin, l’association envisage de transposer le modèle à Mouyondzi, où des agricultrices bénéficiaires des précédents dons agricoles pourraient alimenter la cantine populaire, créant ainsi une boucle vertueuse entre zones rurales et centres urbains.
Cette perspective, en harmonie avec le Plan national de développement, illustre un Congo conscient que la diplomatie du quotidien — nourrir, éduquer, soigner — reste la plus convaincante des cartes de visite. En ce sens, le cliquetis des couverts à Mpaka résonne déjà comme l’écho discret d’une ambition nationale : construire une paix tangible, morceau par morceau, assiette après assiette.