Une signature qui couronne trois décennies de tensions régionales
Dans les salons feutrés d’un hôtel du quartier de Foggy Bottom, la poignée de main entre les ministres des Affaires étrangères rwandais et congolais symbolise l’aboutissement d’un processus sinueux entamé au lendemain du génocide de 1994. Depuis, la partie orientale de la République démocratique du Congo (RDC) a servi de théâtre à une succession de groupes armés, dont le Mouvement du 23 mars, entraînant, selon les Nations unies, plus de cinq millions de victimes directes et indirectes. Kigali et Kinshasa se sont longtemps accusés mutuellement de soutenir des milices transfrontalières, sur fond de rivalités ethniques et de convoitise des gisements de coltan, de cassitérite et d’or. L’accord de Washington s’inscrit donc dans une tentative de refermer l’un des chapitres les plus meurtriers du continent.
Un dispositif sécuritaire adossé à des mécanismes de vérification
Le texte, long de neuf pages, annonce un cessez-le-feu immédiat, le retrait des forces régulières à quinze kilomètres de la frontière commune et, surtout, l’engagement explicite de chaque partie à « cesser toute forme d’appui logistique, financier ou politique à des entités armées non étatiques ». Cet élément était exigé par le Conseil de sécurité depuis la résolution 2641 (ONU, 2022). Un comité conjoint de suivi, présidé par l’Union africaine et comprenant deux représentants américains, aura pour mandat de vérifier mensuellement le respect des clauses. Des couloirs humanitaires devraient également être sécurisés afin de permettre le retour progressif d’environ 450 000 déplacés internes recensés par le HCR dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
Le sous-sol, ligne de fracture mais aussi moteur de coopération
Lors de la cérémonie, le président Donald Trump n’a pas hésité à saluer un « accord gagnant pour la paix et pour un approvisionnement responsable en ressources critiques ». Derrière cette boutade, la réalité géo-économique est évidente : la RDC abrite près de 60 % des réserves mondiales de coltan, minerai indispensable aux téléphones et aux batteries, tandis que de nombreuses coopératives rwandaises assurent le raffinage et l’exportation des concentrés. L’accord prévoit le déploiement de scanners douaniers conjoints et l’adoption de certificats de traçabilité conformes aux exigences américaines de la loi Dodd-Frank. Washington entend ainsi sécuriser une chaîne d’approvisionnement que la guerre chino-américaine des semi-conducteurs rend plus stratégique que jamais.
La médiation américaine et l’alignement prudent des partenaires internationaux
Le Département d’État revendique un rôle d’architecte, rappelant que six cycles de pourparlers tenus à Nairobi, puis à Doha, avaient buté sur la question du désarmement du M23. En accueillant les délégations dans la capitale fédérale, les États-Unis renforcent leur image de courtier de paix crédible en Afrique centrale, une posture longtemps contestée par Pékin et Moscou. L’Union européenne a salué, par la voix de Josep Borrell, « un progrès substantiel qui devra être consolidé par des programmes DDR robustes ». De son côté, l’ONU a confirmé que la MONUSCO adapterait son dispositif afin de s’aligner sur la nouvelle cartographie sécuritaire.
Résonances en Afrique centrale : une stabilité bénéfique aux voisins
Au-delà des deux protagonistes, l’accord constitue un signal favorable pour la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC). Le président congolais Denis Sassou Nguesso, qui s’était imposé en 2019 comme l’un des facilitateurs de la Feuille de route de Brazzaville sur la prévention des conflits transfrontaliers, a salué « une avancée susceptible de relancer l’interconnexion ferroviaire et énergétique du corridor Pointe-Noire-Kisangani ». Pour Brazzaville, la cessation des hostilités réduit le risque de débordements vers la Likouala et préserve la dynamique d’intégration économique que la Zone de libre-échange continentale africaine cherche à promouvoir.
Entre scepticisme ancré et espoir mesuré : les prochains jalons
Les chancelleries ne sous-estiment pas les embûches. La démobilisation effective d’environ 12 000 combattants du M23, la gestion des conflits fonciers liés au retour des réfugiés et la tenue d’élections provinciales crédibles demeurent des prérequis essentiels pour éviter une rechute. Néanmoins, l’alignement inédit d’intérêts sécuritaires, économiques et diplomatiques crée une fenêtre d’opportunité. Comme le résume un haut fonctionnaire de l’Union africaine, « nous sommes face à un test grandeur nature de la capacité africaine à transformer un compromis géostratégique en paix durable ».