Entre euphorie diplomatique et mémoire des échecs récents
Signé à Washington le 3 juin 2025 sous l’égide conjointe du Qatar et des États-Unis, l’accord de sécurité paraphé par le président rwandais Paul Kagame et son homologue congolais Félix Tshisekedi a immédiatement suscité un chœur d’optimisme. Dans les chancelleries, certains diplomates n’ont pas hésité à évoquer « l’aube d’un nouvel ordre sécuritaire dans les Grands Lacs ». Pourtant, les capitales régionales savent que le Kivu a déjà connu une vingtaine de cessez-le-feu depuis 1999, dont la plupart se sont dissous au contact de la réalité du terrain. « L’Histoire nous contraint à la prudence », confiait récemment un négociateur onusien basé à Addis-Abeba.
Le paramètre incontournable des groupes armés locaux
L’accord ne traite qu’indirectement du Mouvement du 23 mars (AFC/M23), formation tutsie dont la poussée militaire a redessiné la carte du Nord-Kivu depuis 2021. Or, la fragmentation de la violence reste nourrie par quelque 150 groupes armés, des Maï-Maï aux milices communautaires, dont chacun contrôle des portions de territoire, des postes de taxation et parfois des gisements aurifères. Les FARDC, engagées sur plusieurs fronts, peinent toujours à garantir une présence étatique constante hors des centres urbains. Un diplomate de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) rappelle que « la démilitarisation du tissu social exige des incitations économiques tangibles pour ces combattants, faute de quoi ils demeureront disponibles pour le plus offrant ».
Enjeux fonciers et fractures communautaires : un héritage colonial toujours actif
La rivalité foncière entre communautés du Nord-Kivu plonge ses racines dans les politiques coloniales des années 1930, lorsque Bruxelles a déplacé des milliers de cultivateurs rwandophones vers le Masisi pour désengorger les collines rwandaises. Naturalisation partielle en 1972, déchéance de nationalité en 1981, puis révisions successives de la loi foncière : chaque volte-face a accentué la défiance entre Banyarwanda d’une part, Hunde, Nandé et Tembo d’autre part. Les experts de l’Institut congolais de recherche agronomique dressent le constat que 65 % des litiges enregistrés dans les territoires de Rutshuru et de Nyiragongo portent sur la terre. Sans réforme cadastrale crédible, la spirale de violence risque de perdurer.
Vertus et limites du dispositif sécuritaire régional
Face à l’essoufflement de la MONUSCO et à la méfiance d’une partie de la population à l’égard des Casques bleus, l’initiative d’une force régionale Est-Africaine (EACRF) a constitué un palliatif partiel. Ses contingents kényans, burundais et ougandais sécurisent certaines artères logistiques, tandis que le Congo-Brazzaville, fort de son expérience dans la médiation inter-centrafricaine, offre un appui discret en matière de renseignement et de formation diplomatique. Brazzaville, fidèle à la doctrine de stabilité défendue par le président Denis Sassou Nguesso, milite pour un mécanisme conjoint de vérification des frontières afin de réduire les incidents transfrontaliers. Toutefois, sans mandat offensif clair, la force régionale ne saurait neutraliser durablement les factions récalcitrantes.
Scénarios prospectifs : vers une paix incrémentale
À court terme, la cessation des hostilités demeure conditionnée à la reconnaissance formelle du M23 comme interlocuteur par Kinshasa et à la mise en œuvre d’un calendrier de désarmement séquencé. Doha, où se poursuivent les discussions indirectes, propose un modèle de cantonnement inspiré de l’accord de Lusaka 1999, assorti d’un fonds de réinsertion financé par la Banque africaine de développement. Un conseiller de la présidence congolaise le reconnaît : « La paix se jouera autant dans les registres fonciers que dans les casernes ».
Sur le moyen terme, les observateurs s’accordent à dire que la consolidation de l’État congolais — réforme fiscale, professionnalisation des FARDC, décentralisation budgétaire — constitue le chaînon manquant. La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs prépare d’ailleurs un plan quadriennal de gouvernance territoriale, auquel Brazzaville apporte un soutien technique, fidèle à son rôle de facilitateur régional.
Enfin, l’échelon local conserve une place centrale. De Goma à Bukavu, les organisations de la société civile plaident pour des mécanismes de justice transitionnelle susceptibles de rendre la cohabitation viable. Si l’accord Kigali-Kinshasa marque une rupture narrative, il demeure un point de départ, non un aboutissement. La paix, conclut l’universitaire rwandais Annonciata Mukantabana, « ne sera pas l’effet d’un protocole, mais le fruit d’une gouvernance enfin inclusive ».