Reconduction stratégique à la tête d’AFG Bank
Réuni à Port-Louis, le Conseil d’administration d’AFG Bank a, à l’unanimité, reconduit l’Ivoirien Léon Konan Koffi pour un nouveau mandat de six ans. Cette décision prolonge un leadership amorcé en 2017, période durant laquelle l’établissement s’est extirpé des eaux troubles post-crise.
Dans ses comptes 2023, la banque affiche une hausse de 13 % de son produit net bancaire et un coefficient d’exploitation sous 50 %. Ces indicateurs plaident pour la continuité plutôt que pour un changement risqué.
« Nous avons misé sur la stabilité », glisse un administrateur sous couvert d’anonymat, rappelant que les banques de la CEMAC sortent à peine des secousses liées à la pandémie et au conflit en Ukraine.
Active au Cameroun, au Gabon et à l’île Maurice, AFG Bank scrute aussi Brazzaville, marché jugé prometteur. Le maintien de son président donne la visibilité qu’exigent les régulateurs congolais avant toute installation.
Un capitaine forgé par les marchés émergents
Léon Konan Koffi appartient à cette génération d’opérateurs africains formés aux meilleures écoles occidentales avant de se frotter au terrain continental. Diplômé d’instituts de Bordeaux, Paris, Manhattan et Tokyo, il revendique une vision hybride, mêlant procédures anglo-saxonnes et intuitions locales.
Entré au Groupe Atlantic en 2007, il y a imposé une gouvernance fondée sur une décentralisation contrôlée. Chaque filiale dispose d’un comité crédit autonome, mais remonte quotidiennement ses flux de trésorerie, limitant ainsi les asymétries d’information.
Selon un ancien collaborateur basé à Douala, « il délègue les marges de manœuvre, pas la responsabilité », un principe qui a permis à la filiale camerounaise de négocier sans heurts le durcissement des ratios de solvabilité imposés par la Banque des États d’Afrique centrale.
Sa proximité affichée avec plusieurs décideurs de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, dont Brazzaville, nourrit par ailleurs un réseau d’alliances politiques que la banque considère comme un amortisseur sous-régional face aux chocs exogènes.
Réglementations, cybersécurité et virage numérique
La reconduction intervient alors que Bâle III entre progressivement en vigueur en Afrique francophone, tirant vers le haut l’exigence en fonds propres. D’ici 2026, AFG Bank devra tripler son capital Core Tier 1 pour conserver sa licence dans plusieurs juridictions.
Cette pression comptable s’ajoute à la bataille pour la protection des données clients. Les incidents de phishing détectés au Gabon ont conduit le régulateur local à imposer un audit de cybersécurité annuel, doublé d’un test de pénétration trimestriel, assorti d’amendes en cas de manquement.
Pour tenir le calendrier, la banque a signé avec une start-up mauricienne spécialisée dans l’authentification biométrique. Le contrat, estimé à 4,5 millions de dollars, sera financé par une ligne de crédit verte obtenue auprès de la Banque africaine de développement.
Selon le cabinet Deloitte, la digitalisation pourrait générer jusqu’à 18 % des revenus du groupe d’ici cinq ans, à condition de ne pas négliger les usages hors-ligne encore dominants dans les zones périurbaines et rurales d’Afrique centrale.
Financement des PME et diversification sectorielle
AFG Bank revendique déjà 25 % de parts de marché dans le financement du commerce au Cameroun, mais moins de 7 % sur le segment des PME. Le conseil estime que la croissance organique viendra désormais de ce vivier trop souvent considéré comme risqué.
L’institution veut déployer une plateforme de scoring basée sur l’agrégation de données fiscales et de facturation électronique. Un projet pilote sera lancé à Libreville avec le concours de l’Agence française de développement, avant une extension à Oyo puis Pointe-Noire.
Parallèlement, la banque consolide sa présence dans l’assurance santé, segment en forte croissance depuis la pandémie. Elle compte tirer parti du partenariat public-privé annoncé par Brazzaville pour élargir la couverture médicale des travailleurs informels, premier réservoir de clients potentiels.
En matière de change, la direction envisage de couvrir les besoins des sociétés minières congolaises via des swaps devises à Nouakchott. L’objectif est de réduire l’exposition du bilan aux fluctuations du franc CFA sans compromettre la liquidité réglementaire.
Leadership, gouvernance et perspectives à six ans
La gouvernance du groupe repose désormais sur une charte alignée sur les meilleures pratiques de l’Organisation de Coopération et de Développement économiques. Elle fixe à douze ans la durée maximale d’exercice de la présidence, limitant ainsi le risque de captation institutionnelle.
En parallèle, le conseil entend accroître la place des administrateurs indépendants, aujourd’hui limités à trente pour cent. Les échanges préliminaires avec la Banque mondiale suggèrent qu’un seuil de quarante pour cent faciliterait l’accès aux facilités de garantie multilatérale.
Pour l’économiste congolais Jules Okouo, « la reconduction de M. Koffi est interprétée comme un signal de confiance des investisseurs envers la stabilité macrofinancière régionale, à commencer par le Congo-Brazzaville, dont la politique monétaire prudente rassure le marché ».
Reste que le climat d’incertitude mondiale exige d’aller au-delà de la simple conformité. Les six prochaines années seront jugées sur la capacité d’AFG Bank à transformer sa gouvernance renouvelée en innovation, au service d’une intégration financière qui gagne en profondeur.