Un pari de 350 millions USD au cœur de la CEMAC
Au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, la quête de financements innovants ne cesse de s’intensifier. Le Cameroun vient d’illustrer cette dynamique en mobilisant 350 millions USD auprès d’Afreximbank, l’institution panafricaine spécialisée dans la promotion du commerce. Selon des sources proches du dossier, la signature de l’accord a été précédée de six mois de tractations techniques dont l’issue conforte la place financière de Yaoundé comme pivot régional. Le recours à une devise forte témoigne d’une volonté assumée de diversifier le profil de la dette publique tout en limitant l’exposition aux tensions de liquidité en francs CFA.
Le quatuor bancaire : architecture et répartition des rôles
Sur les vingt-deux Spécialistes en valeurs du Trésor agréés par l’État, seules quatre institutions ont été retenues pour structurer le montage : Société Générale Cameroun, SCB Cameroun (filiale d’Attijariwafa Bank), Ecobank Cameroun et Afriland First Bank. Leur complémentarité technique a été décisive. Alors que Société Générale a assuré la syndication internationale, Ecobank s’est concentrée sur la couverture de change, SCB Cameroun a piloté la structuration juridique et Afriland First Bank a joué le rôle de chef de file domestique, veillant à l’ancrage du placement dans l’écosystème local. « Cette synergie offre au Trésor une capacité d’absorption optimale sans fragiliser le marché interbancaire », confie un cadre du ministère des Finances.
Les nouveaux standards de liquidité sur le marché BEAC
Le guichet des titres publics de la Banque des États de l’Afrique centrale, longtemps perçu comme une place de niche, entre dans une phase de maturité accélérée. Par le passé, les émissions souveraines se concentraient essentiellement sur des maturités courtes en francs CFA avec des montants plafonnés à 50 milliards. L’injection de 350 millions USD, équivalent à plus de 215 milliards FCFA, marque donc un saut quantitatif et qualitatif. D’après un analyste de Central African Stock Exchange, l’opération devrait élargir la courbe des taux, créant des repères de prix utiles à l’ensemble des émetteurs publics de la sous-région. Surtout, elle attire l’attention d’investisseurs non résidents, séduits par la garantie multilatérale d’Afreximbank et la réglementation prudentielle de la BEAC.
Incidences macroéconomiques et soutenabilité de la dette
L’influx de devises fraîches intervient dans un contexte de consolidation budgétaire marqué par la montée des dépenses sociales et des impératifs de sécurité aux frontières. Pour le Trésor camerounais, il s’agit d’allonger la maturité moyenne de la dette et de lisser le service à court terme. Les projections officielles fixent le ratio dette/PIB à 46 % fin 2024, en-deçà du plafond communautaire de 70 %. En optant pour un taux d’intérêt proche de la moyenne des euro-obligations régionales, Yaoundé évite un renchérissement excessif du coût du capital. Les économistes notent par ailleurs que la présence d’Afreximbank, dont la note de crédit reste supérieure à celle de plusieurs États de la CEMAC, agit comme un rehaussement implicite, réduisant le risque pays perçu.
Un jalon pour l’intégration financière régionale
Au-delà des considérations budgétaires, le deal s’inscrit dans un agenda d’intégration financière largement soutenu par les chefs d’État de la sous-région. L’harmonisation progressive des marchés obligataires et la création d’un compartiment commun aux valeurs du Trésor sont régulièrement évoquées lors des sommets de la CEMAC. « Ce type de transaction crée une jurisprudence en matière de mutualisation des risques et de standardisation documentaire », souligne un diplomate accrédité auprès de la BEAC. À terme, les pays membres pourraient bénéficier d’un effet d’entraînement favorable, attirant de nouveaux investisseurs institutionnels et renforçant la profondeur des marchés secondaires.
Perspectives et effets d’entraînement sur la sous-région
Si le Cameroun ouvre la voie, d’autres capitales d’Afrique centrale observent attentivement les répercussions de l’opération. Le Gabon explore déjà une ligne similaire, tandis que la République du Congo cherche à optimiser son ratio dette-capitalisation pétrolière en recourant à des guichets innovants. Dans ce contexte, l’engagement d’Afreximbank s’apparente à un instrument de diplomatie économique favorisant la stabilité macroéconomique de l’ensemble de la CEMAC. Pour les partenaires internationaux, la transaction représente une preuve tangible de la capacité des États de la zone à concevoir des montages sophistiqués, respectueux des standards prudentiels et compatibles avec les ambitions de développement durable.
Derniers réglages et calendrier de décaissement
Selon le calendrier communiqué, les premiers tirages devraient intervenir au cours du deuxième trimestre, après validation par la BEAC des mécanismes de gestion des risques de change. Un comité de suivi, réunissant les quatre banques chefs de file et les autorités nationales, sera chargé d’ajuster le rythme des décaissements pour préserver les équilibres monétaires. « Nous sommes sur un schéma à la fois souple et exigeant : chaque tranche est conditionnée au respect d’indicateurs budgétaires et de performance », précise un représentant d’Afriland First Bank. Le dispositif entend ainsi concilier célérité et transparence, gages de confiance pour les investisseurs locaux comme internationaux.
Une feuille de route pour un marché obligataire plus mature
L’opération Afreximbank ouvre de nouveaux horizons au marché des titres publics de la BEAC. Elle encourage la diversification des profils d’émetteurs, la montée en puissance d’instruments en devises et l’adoption de normes de divulgation plus rigoureuses. En définitive, le Cameroun, en orchestrant ce financement-pilote, renforce la crédibilité de la place financière régionale et pose les jalons d’une intégration financière alignée sur les standards internationaux. Les observateurs s’accordent à dire que le pari est ambitieux, mais il pourrait bien, s’il est mené à terme, repositionner durablement la CEMAC sur la carte mondiale des marchés émergents.