Une nomination à forte portée géopolitique
Dans les salons feutrés du Centre international de conférence d’Abuja, l’annonce est tombée comme un signal diplomatique retentissant : George Elombi, juriste camerounais aguerri, dirigera Afreximbank dès septembre prochain, à l’issue de l’Assemblée générale des actionnaires. L’institution, fondée en 1993 pour soutenir le commerce intra-africain, place pour la première fois un ressortissant d’Afrique centrale à son sommet. Au-delà de la consécration individuelle, l’épisode marque un rééquilibrage subtil des influences régionales au sein de la haute finance africaine, longtemps dominée par l’axe Afrique australe-Afrique de l’Ouest.
Rééquilibrage régional et rôle imminent du Congo-Brazzaville
Au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, la nouvelle fait figure de catalyseur. Actionnaire historique d’Afreximbank, le Congo-Brazzaville, soucieux de diversifier son économie sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, entrevoit dans cette présidence une occasion de consolider ses stratégies de transformation industrielle. Brazzaville, déjà engagée dans la Zone de libre-échange continentale africaine, multiplie les projets d’agrégation de chaînes de valeur régionales dans les secteurs bois, agriculture et logistique fluviale. L’orientation affichée de George Elombi, qui veut « mettre l’outil financier au service d’une industrialisation inclusive », résonne donc avec la volonté congolaise de s’adosser à des partenariats bancaires novateurs pour soutenir ses programmes de spécialités locales, qu’il s’agisse de la filière forêt-bois certifiée ou des hubs pétrochimiques de Pointe-Noire.
Le parcours d’un juriste forgé par la gouvernance globale
Entré dans les murs d’Afreximbank en 1996 comme jeune conseiller juridique, George Elombi a gravi un à un les échelons jusqu’à occuper la vice-présidence exécutive, poste clé où il supervisait gouvernance, affaires juridiques et services corporatifs. Ses pairs saluent une capacité à conjuguer rigueur académique et intuition stratégique. Diplômé de la London School of Economics, docteur en arbitrage commercial, il s’impose comme l’un des artisans de la réponse continentale à la pandémie : la facilité de deux milliards de dollars qu’il orchestre pour l’achat de vaccins en Afrique et dans les Caraïbes témoigne d’une maîtrise fine des mécanismes de financement syndiqué et de la diplomatie sanitaire. Son ascension interne, patiente et méthodique, illustre la doctrine de méritocratie qu’entend préserver Afreximbank, tout en affichant le visage inclusif d’un leadership désormais plus représentatif des différentes aires géographiques africaines.
Entre intégration commerciale et industrialisation ambitieuse
À l’heure où la Zone de libre-échange continentale se déploie, la nouvelle direction se voit confier une feuille de route exigeante : porter le portefeuille d’actifs de la banque à 250 milliards de dollars sur la prochaine décennie, tout en réduisant les goulots d’étranglement logistiques qui freinent les échanges intra-africains. Dans cette perspective, l’Afrique centrale dispose d’avantages encore sous-exploités : réseaux fluviaux, ressources énergétiques et position charnière entre golfe de Guinée et région des Grands Lacs. Afreximbank entend mobiliser des outils de garantie et des produits financiers innovants pour convertir ces atouts en hubs industriels compétitifs. « Nous devons transiter du rôle de trader de matières premières à celui de transformateur », souligne George Elombi dans son premier briefing stratégique, citant l’exemple encourageant des complexes sucriers congolais et gabonais, ou encore les parcs industriels camerounais de Kribi et de Douala.
Synergies attendues avec les politiques nationales
La réussite de ce virage dépendra d’une coordination étroite avec les gouvernements. À Brazzaville, les équipes du ministère de l’Économie évoquent déjà une « fenêtre inédite » pour accélérer la mise en place du Fonds national de développement industriel, dont l’effet de levier pourra être bonifié par les lignes de crédit d’Afreximbank. De manière plus large, la CEMAC voit dans la banque un instrument pour mutualiser la titrisation d’infrastructures régionales, à l’image de la dorsale fibre optique ou du corridor routier Pointe-Noire-Bata. Les investisseurs institutionnels, notamment les caisses de retraite et les fonds souverains, scrutent la perspective de paniers d’obligations régionales labellisées ESG, un segment où la nouvelle équipe dirigeante possède déjà une expertise reconnue.
Un test pour la diplomatie économique africaine
Au-delà des chiffres, la nomination de George Elombi sert de baromètre des dynamiques diplomatiques internes à l’Union africaine. L’équilibre entre zones anglophones, francophones et lusophones reste un sujet sensible ; l’ascension d’un francophone d’Afrique centrale pourrait encourager une gouvernance encore plus consensuelle, conforme aux principes d’équité régionale défendus par Brazzaville lors des sommets de l’UA. À ce titre, la voix congolaise gagne en résonance, non dans une logique de confrontation, mais dans l’esprit de coopération constructive que le président Denis Sassou Nguesso promeut régulièrement sur les tribunes internationales.
Perspectives et responsabilités partagées
À la croisée des attentes, George Elombi devra faire preuve de diplomatie tout autant que de technicité. Stabiliser les ratios de capital, renforcer la notation de crédit et contenir les risques de change figurent parmi les urgences à court terme. Dans le même temps, l’adhésion populaire se forgera sur la matérialisation de projets tangibles : zones agro-industrielles, corridors ferroviaires et plateformes logistiques qui feront entrer le commerce intracontinental dans une ère de compétitivité accrue. Dans ce jeu d’équilibriste, l’appui des capitales régionales, de Douala à Brazzaville, sera déterminant pour convertir la promesse politique en retombées économiques mesurables.
Un moment charnière pour l’Afrique centrale
Si l’Afrique centrale a parfois été perçue comme le « maillon discret » du continent financier, l’heure est aujourd’hui à la visibilité stratégique. En confiant à l’un de ses fils la direction d’Afreximbank, la région porte un message de confiance et de capacité. L’exercice de la présidence par George Elombi, soutenu par des partenaires tels que le Congo-Brazzaville, pourrait bien préfigurer une nouvelle ère, où la contribution de la sous-région à l’industrialisation de l’Afrique ne serait plus l’exception, mais la norme.