Un suspense savamment orchestré autour du fauteuil présidentiel
Abuja, capitale fédérale du Nigeria, se prépare à accueillir le 28 juin l’assemblée générale d’Afreximbank, rendez-vous incontournable pour la diplomatie financière africaine. Dans les couloirs feutrés de l’hôtel Transcorp Hilton, la question ne porte déjà plus sur le bilan du professeur Benedict Oramah, unanimement salué pour avoir piloté un portefeuille d’actifs passé de 12 à 32 milliards de dollars depuis 2015, mais sur le nom de son successeur. Officiellement, la banque se retranche derrière un processus de sélection « interne et rigoureux ». Officieusement, plusieurs délégations d’actionnaires confirment que le Camerounais George Elombi, actuel vice-président exécutif chargé de la gouvernance juridique et institutionnelle, concentre l’essentiel des suffrages.
Le secret entourant la short-list alimente les pronostics. Selon un diplomate ouest-africain rencontré en marge des réunions préparatoires, « la stratégie consiste à éviter les clivages régionaux avant le vote final ». Dans un contexte marqué par la concurrence grandissante de nouvelles banques multilatérales, l’institution sise au Caire entend démontrer qu’elle sait gérer sa transition sans heurts – un message apprécié à Brazzaville, toujours soucieuse de préserver un climat d’affaires stable en Afrique centrale.
Le parcours d’un juriste panafricaniste rompu aux arcanes bancaires
Titulaire d’un doctorat en droit de l’université de Londres, George Elombi a rejoint Afreximbank dès 1997. Il y a gravi tous les échelons, de conseiller juridique à secrétaire du conseil d’administration, avant de devenir en 2016 l’un des quatre vice-présidents exécutifs. Dans l’écosystème bancaire, son nom rime avec rigueur réglementaire et sens politique. « Il connaît chaque clause des traités constitutifs de la Zone de libre-échange continentale », assure une source interne. À 57 ans, l’intéressé se présente comme un « technocrate animé par la conviction que la finance doit servir l’industrialisation africaine ».
Cette expertise juridique le place en situation d’assurer la continuité des réformes engagées sous Oramah : renforcement de la notation de crédit, digitalisation des garanties, et déploiement d’AfricPay, la plateforme de règlement intra-africain. Autant d’initiatives qui intéressent au premier chef les États d’Afrique centrale, parmi lesquels le Congo-Brazzaville, désireux de diversifier ses recettes hors pétrole grâce aux corridors commerciaux fluviaux.
Des défis post-pandémiques et l’impératif d’une finance patients
La crise sanitaire a rappelé la nécessité d’une banque capable de mobiliser en quelques semaines des milliards de dollars pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement. Afreximbank a débloqué 7 milliards de dollars via son mécanisme PATIMFA. Si Elombi est confirmé, il devra transformer cette réactivité conjoncturelle en instrument structurel, notamment pour financer la production locale de vaccins que l’Union africaine souhaite accélérer.
Plus largement, la montée des taux de la Réserve fédérale américaine renchérit le coût du capital. D’où l’urgence, martelée à Abuja, de consolider une « finance patients » en monnaie locale. Sur ce point, Brazzaville – qui a stabilisé sa macro-économie sous la houlette du président Denis Sassou Nguesso – plaide pour un guichet spécial dédié à la conversion des devises issues du futur hub pétrochimique de Pointe-Noire. Une proposition que plusieurs délégations considèrent comme un test grandeur nature de la capacité d’Afreximbank à soutenir les stratégies de valeur ajoutée régionale.
Pour l’Afrique centrale, un moment charnière d’influence douce
Historiquement dominée par les actionnaires d’Afrique de l’Ouest et du Nord, la gouvernance d’Afreximbank reflète des équilibres subtils. La possible arrivée d’un Camerounais à la présidence constituerait une première pour la sous-région CEMAC. « Cela enverrait un signal fort sur la redistribution des cartes d’influence », observe le professeur Mbemba Nzila de l’université Marien Ngouabi, rappelant que le Congo-Brazzaville fut parmi les premiers souscripteurs au capital de la banque dès 1993.
Au-delà du symbole, la région espère voir accélérer des projets concrets : modernisation du corridor rail-route Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui, création d’une bourse régionale des matières premières et élargissement du programme d’affacturage Africafactoring aux PME agricoles. L’entourage de George Elombi assure qu’il « portera une attention soutenue à l’inclusion des économies intermédiaires », lesquelles représentent 35 % du PIB continental mais moins de 20 % des prêts d’Afreximbank.
L’arbitrage d’Abuja : logiques de quotas et diplomatie silencieuse
Le vote final reposera sur une pondération complexe, mélangeant capital souscrit et principe d’un actionnaire, une voix. Les États membres détiennent 52 % des droits de vote, les institutions multilatérales 28 % et les investisseurs privés 20 %. Selon une source proche du comité de nomination, George Elombi recueillerait déjà l’appui d’une majorité simple, mais la banque recherche un consensus « suffisamment large pour éviter toute contestation médiatique ».
Dans cette négociation feutrée, la diplomatie congolaise, réputée pour son sens du compromis, a choisi de mettre en avant la stabilité institutionnelle comme atout majeur. Un ambassadeur congolais rappelle que « la continuité de la gouvernance est fondamentale pour rassurer le marché ». Une position relayée par plusieurs partenaires multilatéraux qui estiment qu’une transition ordonnée serait de nature à renforcer l’attractivité de la zone CFA et, par ricochet, la dynamique d’investissement dans les infrastructures régionales soutenues par Afreximbank.
Vers une feuille de route tournée vers l’intégration continentale
Qu’il s’agisse de mettre en œuvre la plateforme d’affacturage Pan-African Payment and Settlement System ou d’étendre le crédit syndiqué aux énergies renouvelables, le prochain président d’Afreximbank devra conjuguer prudence réglementaire et imagination financière. Les observateurs s’accordent à penser que l’expertise d’Elombi, forgée dans les méandres du droit international, constitue un gage de crédibilité face aux bailleurs non africains.
À l’heure où l’Afrique cherche à transformer ses matières premières sur place, la promesse d’un leadership issu du cœur géographique du continent trouve un écho favorable. Si le vote du 28 juin consacre bel et bien George Elombi, la presse économique retiendra sans doute qu’Afreximbank a préféré la continuité éclairée à la rupture spectaculaire. Pour Brazzaville et ses partenaires régionaux, c’est la perspective d’un alignement inédit entre agenda financier panafricain et ambitions industrielles locales qui se dessine.