Une visibilité sans précédent pour les musiques africaines
Lorsque Davido investira le Parc des Princes le 28 juin sous la bannière de l’AFREXIMfest, la mégastar nigériane ne se contentera pas de faire danser une foule parisienne galvanisée ; il validera symboliquement l’inscription de l’afrobeat au registre des formes musicales majeures capables de remplir les enceintes mythiques de la planète. L’initiative de la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) illustre l’articulation de plus en plus fine entre finance continentale et diplomatie du spectacle, les organisateurs percevant dans la musique un formidable levier de storytelling continental.
Le même soir, Rema électrisera l’Accor Arena, autre écrin habituellement réservé aux géants anglo-saxons. En affichant complet plusieurs semaines à l’avance, le jeune artiste de Benin City démontre que la nouvelle génération nigériane réussit à fédérer un public qui dépasse largement les diasporas. Aux yeux des chancelleries suivies de près par le secteur culturel français, cet attrait prouve qu’un repositionnement stratégique autour des industries créatives africaines est non seulement pertinent mais désormais indispensable.
Paris, carrefour des esthétiques afro-caribéennes contemporaines
Dans le sillage des concerts phares, le AFRODOM Festival, attendu les 28 et 29 juin au Paris Events Center, illustre la mutation d’une capitale qui se veut laboratoire des imaginaires afro-caribéens. Amapiano sud-africain, kompa haïtien ou coupé-décalé ivoirien s’y mêlent à la street-food créole, dessinant un paysage sonore et gustatif où l’identité se fabrique par hybridation. Vu de l’extérieur, cette effervescence consolide l’image d’un Paris cosmopolite capable d’embrasser une pluralité d’expressions sans folklorisation ni hiérarchisation.
Plus intimiste, le concert du Kényan Bien – voix emblématique de Sauti Sol – programmé le 3 juillet au Trabendo, rappelle qu’au-delà des shows XXL, la scène parisienne sait ménager des écrins pour des propositions introspectives. L’artiste y déploiera un afro-soul subtil, tissant un lien direct avec un public en quête d’émotions plus feutrées. Cette coexistence des formats participe d’une diplomatie culturelle inclusive, attentive à la diversité des récits.
Londres, vitrine d’un théâtre panafricain engagé
Avec 54.60 Africa, le Arcola Theatre accueille jusqu’au 12 juillet une fresque scénique où cinquante-quatre pays sont traversés en soixante minutes. Le dispositif épuré, l’énergie chorale et la polyphonie linguistique traduisent la volonté d’esquisser un continent pluriel, loin des caricatures. Pour les diplomates présents à l’une des premières, la pièce offre un prisme inédit sur les revendications générationnelles, mêlant satire et poésie pour évoquer souveraineté, climat ou mobilités transfrontalières.
La capitale britannique sera également le théâtre, le 27 juin, de The Herds, déambulation de marionnettes animalières géantes conçues à Kinshasa puis assemblées avec des partenaires londoniens. Derrière la dimension spectaculaire, l’œuvre plaide pour une conscience écologique globale, reliant symboliquement le Bassin du Congo aux rues de la City. L’itinérance prévue vers Manchester, Aarhus ou Stockholm prolonge l’idée d’un plaidoyer itinérant, à la croisée de la pédagogie citoyenne et de l’art participatif.
Makhanda, laboratoire d’innovations artistiques africaines
Depuis plus de quarante ans, le National Arts Festival transforme la petite ville sud-africaine de Makhanda en agora continentale. Son édition 2025, du 26 juin au 6 juillet, se distingue par un maillage d’expériences où se côtoient théâtre documentaire, danse post-urbaine et arts visuels attentifs aux mémoires post-apartheid. La présence accrue de créateurs venus d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb confirme la dimension panafricaine d’un rendez-vous longtemps perçu comme essentiellement sud-africain.
Les conférences programmées en marge des spectacles attestent d’une ambition intellectuelle assumée : interroger la justice climatique, les enjeux fonciers ou la circulation des langues au prisme de pratiques artistiques. Pour les observateurs diplomatiques, cette articulation entre création et réflexion positionne le festival comme un forum stratégique, capable de faire converger artistes, universitaires et décideurs publics.
Soft power africain : vers une cohérence des stratégies culturelles
Pris isolément, chacun de ces événements pourrait être analysé comme un succès sectoriel. En les considérant ensemble, se dessine néanmoins une tendance de fond : la consolidation d’un soft power africain qui articule industrie musicale, dramaturgie engagée et performance urbaine participative. Les institutions financières, les acteurs privés et les collectivités territoriales y trouvent un terrain d’entente où l’image du continent se façonne par l’excellence artistique autant que par la convivialité.
Cette convergence n’ignore pas les défis – infrastructures inégales, circulation des artistes, coûts logistiques – mais elle témoigne d’une confiance nouvelle. Les grandes métropoles du Nord se conçoivent de plus en plus comme relais, non comme seuls prescripteurs. Pour les capitales africaines, l’enjeu consiste désormais à consolider les réseaux internes, favoriser la mobilité sud-sud et capitaliser sur l’attention internationale afin de stimuler des filières créatives locales pérennes.
Au-delà des projecteurs, une diplomatie des arts en gestation
Qu’il s’agisse d’un stade parisien illuminé par Davido, d’une marionnette d’éléphant traversant Tower Bridge ou d’un poème scandé à Makhanda, l’Afrique réaffirme en cette fin de semestre sa capacité à élaborer des récits qui parlent au monde et l’invitent à se penser autrement. Pour les diplomates attentifs aux signaux faibles, ces manifestations culturelles ne relèvent pas seulement du divertissement : elles préfigurent un langage commun où la créativité devient vecteur d’influence, de négociation et, à terme, de coopération multilatérale renforcée.
Dans un contexte géopolitique où les rivalités de puissance se jouent aussi sur le terrain symbolique, l’affirmation de cette diplomatie des arts ouvre des perspectives fécondes. Elle invite à considérer tout événement culturel majeur comme un espace de médiation potentiel, où se dessinent les solidarités de demain. L’été 2025 aura fourni, en sept temps forts, un aperçu convaincant de cette dynamique en pleine maturation.
