Le retrait soudain des bailleurs fragilise le front humanitaire
Dans le huis clos brûlant des plaines de l’État de Borno, les entrepôts du Programme alimentaire mondial demeurent désormais silencieux. Les poches d’aide se sont vidées aussi vite que les engagements des partenaires occidentaux se sont rétractés, conséquence d’une réallocation budgétaire présentée comme inéluctable au nom d’intérêts domestiques prioritaires (déclarations d’un responsable du Département d’État américain). En quelques mois, plus d’un million de personnes déplacées internes, dépendantes de l’assistance alimentaire, ont vu leur ration réduite à peau de chagrin, avant de disparaître totalement. Pour beaucoup de familles naguère agricultrices, l’autonomie est un souvenir bloqué de l’autre côté des lignes de front.
Malnutrition infantile : une courbe qui s’affole
Les rapports médicaux convergent : la pénurie de céréales et de compléments pousse les indicateurs nutritionnels vers des sommets inquiétants. Médecins Sans Frontières fait état d’un doublement des cas de malnutrition aiguë sévère au premier semestre et recense déjà plus de six cents décès d’enfants traités dans ses structures (communiqué de MSF, juillet 2025). La fermeture imminente d’une centaine de cliniques financées par des donateurs risque de transformer l’urgence sanitaire en véritable désastre démographique. Ce choc humanitaire intervient alors même que les autorités nigérianes, conscientes de l’ampleur du défi, viennent d’ériger un Conseil fédéral de la nutrition présenté comme « salle de guerre contre le fléau » par le vice-président Kashim Shettima.
Boko Haram, bénéficiaire collatéral du vide social
Dans cet environnement de privation, Boko Haram, faction endogène classée parmi les plus létales au monde, redouble d’activisme. Selon Trust Mlambo, responsable des opérations régionales du PAM, « priver les communautés de leur prochain repas facilite la propagande insurrectionnelle ». Les recruteurs exploitent une rhétorique de substitution : là où l’État et ses partenaires n’ont plus rien à offrir, la guérilla promet un revenu, une identité et, paradoxalement, une forme de protection. La géographie du conflit renforce cette logique. Des collines de Gwoza aux forêts sambisiennes, l’espace rural s’effiloche entre poches militaires, couloirs de contrebande et zones grises contrôlées par les insurgés. Pour des jeunes privés d’avenir, la traversée de la lisière constitue parfois l’unique horizon.
Multiplicité des responsabilités, urgence d’un sursaut coordonné
La diplomatie humanitaire se trouve, une fois encore, devant un test de crédibilité. Washington, Londres et Bruxelles invoquent des contraintes budgétaires, tandis que la priorité accordée aux crises ukrainienne ou soudanaise a redirigé le flux traditionnel d’assistance. De son côté, Abuja, première économie d’Afrique, lutte contre une inflation récalcitrante et la dépréciation du naira, ce qui limite sa marge de manœuvre budgétaire et nourrit les critiques sur la gouvernance locale. Toutefois, le discours gouvernemental se veut résolument tourné vers la remobilisation : annonce de programmes agricoles résilients, relance de partenariats public-privé pour sécuriser les axes d’approvisionnement, plaidoyer renouvelé auprès des institutions multilatérales.
Quels leviers pour contenir la tempête ?
À court terme, la réactivation d’un financement relais, même modeste, permettrait de réapprovisionner les stocks de céréales et de prolonger le fonctionnement des centres de traitement nutritionnel. Les émissaires onusiens encouragent par ailleurs la mise en place de corridors humanitaires plus souples, adossés à des patrouilles conjointes régionales, afin de garantir l’accès aux communautés enclavées. À moyen terme, les experts insistent sur l’importance de programmes de transferts monétaires numériques calibrés sur la volatilité des prix locaux : un mécanisme déjà expérimenté à Gwoza qui a montré, malgré son périmètre réduit, une diminution des mouvements pendulaires vers les zones insurgées.
Une crise nigériane aux résonances régionales
La vague d’instabilité qui part du bassin tchadien s’étend jusqu’aux frontières méridionales du Niger, du Tchad et du Cameroun, pays pour lesquels le Nigeria demeure partenaire économique majeur et acteur sécuritaire incontournable. Toute fluctuation de la sécurité alimentaire au nord-est nigérian risque donc d’exporter, par effets de vase communicant, des flux de réfugiés supplémentaires et des poches d’insécurité qui mettraient à l’épreuve les dispositifs de coopération régionale. Dans ce contexte, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) intensifie ses consultations pour articuler une réponse commune qui combine relance de l’aide, soutien à l’agro-pastoralisme et contrôle transfrontalier.
Perspectives : la diplomatie de la prévention
L’histoire contemporaine rappelle que la sous-alimentation chronique ouvre un boulevard aux idéologies extrémistes. Pour éviter que l’humanitaire déficient ne se mue en menace sécuritaire globale, bailleurs et autorités nationales doivent synchroniser urgence et développement : rétablir le flux d’assistance de base, protéger les corridors, investir dans l’éducation et la création d’emplois ruraux. La survie collective à Gwoza, Maiduguri ou Chibok ne dépend plus seulement d’un sac de maïs, mais d’un pari diplomatique sur la dignité humaine, facteur premier de la stabilité durable.