Ce qu’il faut retenir
Le premier rapport autonome de l’UICN consacré à l’éléphant de forêt révèle qu’il ne reste qu’environ 135 000 spécimens, concentrés à 95 % en Afrique centrale. L’organisation considère l’espèce en danger critique et appelle à une mobilisation urgente de la décennie.
Ce chiffre, comparable aux estimations de 2021, ne traduit pas une reprise, soulignent les chercheurs, mais l’affinement des méthodes de comptage, désormais basées sur la génétique capture-marquage-recapture. Les effectifs réels restent très inférieurs au potentiel écologique des forêts du bassin du Congo.
Derniers chiffres validés UICN
Le rapport UICN chiffre la population à 135 690 individus, dont environ 95 000 au Gabon et 25 000 au Congo-Brazzaville. Depuis 2001, la région a pourtant perdu près de 80 % de ses éléphants sous l’effet combiné du braconnage et de la fragmentation des habitats.
Thomas Breuer, coauteur du document, rappelle que les femelles n’atteignent la maturité sexuelle qu’autour de quinze ans et ne mettent bas qu’un petit tous les cinq à six ans. Ce rythme biologique rend tout rebond démographique très lent, même dans les zones sécurisées.
Contexte régional
Le bassin du Congo couvre près de 200 millions d’hectares de forêts denses, second poumon mondial derrière l’Amazonie. Dans ces écosystèmes, l’éléphant de forêt, plus petit que son cousin de savane, constitue un ingénieur écologique dispersant graines et créant clairières lumineuses.
Selon le Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Afrique, la République du Congo, le Gabon, le Cameroun, la Centrafrique et la RDC forment dorénavant les derniers bastions continus de l’espèce. Les sites mieux protégés affichent une densité remarquable pouvant dépasser un individu par kilomètre carré.
Pressions humaines grandissantes
Si la chasse illégale demeure une menace aiguë, les experts constatent que l’exploitation forestière, l’orpaillage et les grands corridors routiers fragmentent désormais l’habitat. Les éléphants doivent franchir des clairières exploitées, augmentant la rencontre avec l’homme et donc le risque de conflits ou d’abattage défensif.
Le changement climatique s’ajoute à ces pressions. Des études pilotes signalent une modification de la répartition des essences fruitières et une plus grande fréquence des épisodes de sécheresse, susceptibles de perturber la reproduction et la nutrition des jeunes pachydermes, encore peu étudiées au niveau régional.
Le rôle clé du Congo-Brazzaville
La République du Congo a classé plus de 13 % de son territoire en aires protégées et anime, avec le Gabon, l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale. À Odzala-Kokoua et Ntokou-Pikounda, des concessions forestières certifiées collaborent avec les autorités pour surveiller l’ivoire et restaurer des corridors fauniques.
Le gouvernement soutient également les brigades mixtes armées, composées d’agents des eaux et forêts, de gendarmes et de communautés locales. Selon le ministère congolais de l’Économie forestière, ces patrouilles ont réduit de 40 % les incidents de braconnage signalés autour des parcs depuis cinq ans.
Le point économique
Les observateurs estiment que chaque éléphant de forêt vivant génère annuellement jusqu’à 1,75 million de dollars de valeur écologique et touristique, selon une étude du FMI. Or, les États de la région ne captent qu’une fraction infime de ce capital naturel faute d’infrastructures d’écotourisme adaptées.
Innovation de terrain
Des start-up congolaises expérimentent des colliers GPS à énergie solaire et transmission satellitaire basse consommation. Les premiers prototypes, testés dans la réserve de Lefini, permettent un suivi en temps réel des mouvements et alertent les villages à l’avance, réduisant les dégâts agricoles signalés.
Scénarios pour la prochaine décennie
Le WWF finalise un plan d’action 2025-2035 aligné sur la CITES. Trois scénarios sont envisagés : stabilisation des noyaux actuels, extension vers les paysages transfrontaliers, ou déclin continu si la demande asiatique d’ivoire repart. L’enjeu financier atteindrait 120 millions de dollars sur dix ans.
Les bailleurs multilatéraux conditionnent leur appui à la transparence des chaînes de valeur forestières et minières. Un audit indépendant des concessions pourrait devenir obligatoire. De son côté, la Banque de développement des États d’Afrique centrale explore un mécanisme de paiement pour services écosystémiques dédié à l’éléphant.
Et après ?
À court terme, les spécialistes recommandent de renforcer les couloirs écologiques entre Nouabalé-Ndoki, Odzala et les parcs camerounais voisins afin d’éviter l’isolement génétique. L’accord triennal signé en mars entre Brazzaville et Yaoundé inclut déjà un volet d’échanges d’informations satellitaires sur les troupeaux.
À moyen terme, l’entrée en vigueur du marché volontaire du carbone africain pourrait valoriser la présence des éléphants, qui augmentent la séquestration de carbone par la régénération forestière. Des certificats « faune et climat » sont en discussion avec les places financières de Nairobi et d’Abu Dhabi.
Enfin, un programme régional d’éducation environnementale cible déjà 200 écoles réparties entre Pointe-Noire, Libreville et Kinshasa. En combinant visites de terrain, dessins animés et plateformes numériques, il vise à réduire la demande d’ivoire domestique et à ancrer la coexistence pacifique dans les mentalités.
Les prochaines négociations CITES, prévues au Panama, devront arbitrer entre une reclassification plus stricte de l’espèce et la reconnaissance d’initiatives nationales exemplaires. Pour les décideurs d’Afrique centrale, la protection de l’éléphant de forêt devient ainsi un test emblématique de gouvernance environnementale crédible et coopérative.
