L’éveil créatif africain à Abidjan
En juin 2025, Abidjan a accueilli le Salon international du contenu audiovisuel (SICA) et, avec lui, le témoignage tangible d’une Afrique créative décidée à réinventer sa narration. Sous les néons du palais de la Culture, producteurs, diplomates et investisseurs ont convergé vers la lagune Ébrié pour débattre d’un même impératif : offrir à une démographie juvénile – près de 60 % de la population continentale – des récits qui lui ressemblent. Dans la foulée, les studios invités ont projeté des maquettes où cosmogonies bantoues et légendes sahéliennes s’animent en images de synthèse, signe que l’animation 3D n’est plus un luxe d’importation mais un vecteur stratégique de soft power régional.
Une demande juvénile en quête d’authenticité
Selon l’UNESCO, moins de 1 % des contenus animés consommés sur le continent sont produits localement, alors que la courbe de consommation numérique s’envole. La frustration d’un public trop longtemps abreuvé de références exogènes se transforme aujourd’hui en moteur économique. Plateformes de vidéo à la demande, chaînes satellitaires et téléphones intelligents ouvrent un boulevard à des œuvres capables de conjuguer héroïsme traditionnel et modernité urbaine. « La jeunesse africaine veut se voir grandir sous sa propre lumière », relève la sociologue ivoirienne Awa Coulibaly, rappelant que l’authenticité culturelle est devenue un argument concurrentiel autant qu’un facteur de cohésion sociale.
Orun Studios, fer de lance d’un narratif continental
Parmi les locomotives de ce chamboulement, Orun Studios, fondé en 2023 à Dakar, revendique un positionnement panafricain. « Nous écrivons la prochaine page de l’humanité et elle aura un accent africain », explique sa présidente, Habyba Thiero, dont la vision marie mythologies yorubas et futurisme afro-cyber. Le studio développe une franchise épique sur un héros transsaharien tout en courtisant des coproducteurs asiatiques et nord-américains. La levée de fonds bouclée début 2025 illustre l’appétit des capital-risqueurs pour les licences culturelles africaines dès lors qu’elles combinent propriété intellectuelle solide et potentiel de merchandising.
Cap sur le capital humain : la formation comme levier stratégique
La percée technologique serait illusoire sans ingénierie des talents. Orun Studios prévoit de former 10 000 jeunes Africains aux métiers du numérique d’ici 2030, grâce à des partenariats universitaires à Lagos, Kigali et Brazzaville. Au Congo-Brazzaville, l’Institut national des arts et métiers du numérique, inauguré en 2024 sous l’impulsion des autorités, offre déjà des modules avancés de modélisation 3D et d’écriture interactive. Dans un contexte où 12 millions de jeunes africains arrivent chaque année sur le marché du travail, ces cursus entendent transformer la pression démographique en dividende numérique, tout en consolidant une main-d’œuvre qualifiée exportable.
Le rôle moteur des États et d’une diplomatie du soft power
Conscients des retombées diplomatiques de la culture, plusieurs gouvernements placent l’animation 3D au cœur de leurs stratégies. La Côte d’Ivoire a inscrit un crédit d’impôt audiovisuel dans la loi de finances 2025, tandis que le Congo-Brazzaville, adoptant une posture proactive, soutient la création d’un Fonds national pour l’innovation créative. Ce dispositif, salué par les partenaires au développement, reflète la volonté de diversifier l’économie hors pétrole et d’investir dans des industries à forte valeur ajoutée. Dans la même veine, l’Union africaine planche sur un passeport culturel continental destiné à faciliter la circulation des professionnels et des œuvres.
Vers une souveraineté culturelle et économique
L’animation 3D n’est pas qu’une parenthèse artistique ; elle cristallise un combat pour la souveraineté narrative. En internalisant la production d’images et de scénarios, les sociétés africaines réduisent la dépendance aux catalogues occidentaux, monétisent leurs mythes et redéfinissent les représentations de l’Afrique sur les écrans internationaux. Pour les chancelleries, ce mouvement constitue un actif diplomatique non négligeable : un film d’animation traversant les festivals vaut parfois autant qu’un discours d’Assemblée générale pour influer sur les imaginaires.
Une industrialisation culturelle en marche
Le millésime 2025 pourrait bien être celui où l’Afrique a cessé de négocier sa place dans l’animation 3D pour en dicter les codes. Entre foi technologique, vitalité démographique et volontarisme politique, le terreau se montre fertile. La trajectoire demeure exigeante : infrastructures, propriété intellectuelle et accès aux marchés doivent encore gagner en maturité. Mais de Brazzaville à Accra, la confiance s’installe : l’Afrique ne regarde plus l’écran, elle le fabrique. Et dans cette lumière nouvelle, elle exporte non seulement des personnages mais une grammaire visuelle propre, invitant le monde à lire son histoire écrite en pixels africains.