Une dépendance pétrolière devenue vulnérabilité stratégique
Depuis l’essor fulgurant des champs offshore de Pointe-Noire dans les années 1970, la République du Congo a bâti son architecture budgétaire sur la rente pétrolière. Près de 60 % des recettes publiques et plus de 80 % des exportations reposent encore, selon le FMI, sur l’« or noir ». Cette concentration des revenus a longtemps masqué la fragilité d’une économie peu industrialisée et exposée aux chocs des cours mondiaux. Lorsque le baril s’effondre en 2014, la croissance congolaise chute brutalement, révélant la vacuité d’une stratégie de long terme véritablement orientée vers la diversification.
La R.D.P.H convie un dialogue inédit à Pointe-Noire
Face à ce constat, la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme (R.D.P.H.), organisation congolaise reconnue pour son travail d’interface entre pouvoir, entreprises et communautés, a réuni du 26 au 27 juin 2025 à l’hôtel Elaïs une mosaïque d’acteurs rarement assis à la même table. Compagnies pétrolières internationales, représentants des communautés riveraines de Kouilou, hauts fonctionnaires du ministère des Finances et organisations de la société civile ont débattu des premiers résultats du projet « Préparer l’après-pétrole au Congo » (Papco). « Nous voulons passer du diagnostic à l’action collective », a résumé Christian Mounzéo, président de la R.D.P.H., en ouverture des travaux.
Enjeux géopolitiques et climatiques d’une mutation accélérée
La pression climatique ajoute une dimension de realpolitik à cette mutation. Signataire de l’Accord de Paris, Brazzaville s’est engagée à réduire de 32 % ses émissions d’ici 2030, un objectif incompatible avec la poursuite d’une stratégie extractiviste inchangée. Dans le même temps, les majors repensent leurs portefeuilles sous la contrainte des actionnaires et des tribunaux, comme l’a rappelé un cadre de TotalEnergies : « La demande mondiale plafonnera, nous devons anticiper des actifs échoués. »
L’initiative Beyond Oil and Gas Alliance (Boga), évoquée durant la table-ronde, incarne cette nouvelle diplomatie climatique. Rejoindre Boga donnerait au Congo un accès privilégié à des financements de transition, mais l’adhésion implique l’arrêt de nouveaux permis d’exploration, un pas que certains responsables jugent prématuré. « Nous ne pouvons sacrifier notre souveraineté économique sur l’autel d’engagements encore flous », a rétorqué un haut fonctionnaire du ministère des Hydrocarbures, illustrant la tension entre urgence climatique et impératif de recettes.
Diversifier : agriculture, numérique et valeur ajoutée locale
Le rapport Papco propose trois axes jugés prioritaires. D’abord, la relance agricole dans le couloir du Niari, où la terre fertile pourrait substituer des importations alimentaires qui avoisinent un milliard de dollars par an. Des représentants de coopératives locales ont plaidé pour des infrastructures de stockage et la réhabilitation des voies ferrées afin de désenclaver les productions.
Ensuite, l’incubation d’un hub numérique à Brazzaville, soutenu par la Banque africaine de développement, qui verrait la création de centres de données alimentés par l’hydroélectricité du barrage de Sounda. Cette option offrirait des emplois qualifiés et réduirait la dépendance vis-à-vis des services étrangers.
Enfin, la montée en gamme de la filière bois, encore centrée sur l’exportation de grumes brutes. Le ministère de l’Économie étudie un régime fiscal incitatif pour favoriser la transformation locale et capter une plus grande part de la valeur ajoutée. « Chaque conteneur de meubles exportés générerait cinq fois plus de devises qu’un conteneur de rondins », souligne un consultant présent.
Verrous institutionnels et crédibilité budgétaire
Toutefois, la transition ne pourra réussir sans une gouvernance financière assainie. La Cour des comptes congolaise a pointé en 2023 des écarts significatifs entre la production déclarée par les compagnies et les recettes enregistrées au Trésor. Pour les organisations de la société civile, l’amélioration de la transparence constitue le prérequis à tout soutien international. Le principe de responsabilité partagée a fait consensus durant la table-ronde : chaque baril qui sort du sol doit se traduire dans les comptes publics avec une traçabilité exhaustive.
Par ailleurs, la soutenabilité de la dette, déjà proche de 90 % du PIB, limite les marges budgétaires dont disposerait le gouvernement pour investir massivement hors hydrocarbures. Les partenaires multilatéraux invitent Brazzaville à recourir davantage aux partenariats public-privé, mais ces derniers supposeront un cadre juridique sécurisé et une justice commerciale renforcée, deux chantiers encore embryonnaires.
Vers une diplomatie énergétique inclusive
Au terme de deux jours d’échanges, la R.D.P.H. a esquissé une « pré-feuille de route » articulée autour d’objectifs à cinq et dix ans : adhésion graduelle à Boga, création d’un fonds souverain vert abondé par un prélèvement sur la production actuelle, et déploiement d’un réseau national d’électricité renouvelable pour atteindre 70 % d’accès d’ici 2035. Si le document reste à valider par le gouvernement, il fixe désormais un horizon commun à des acteurs longtemps cantonnés à des dialogues parallèles.
Pour Mounzéo, l’enjeu dépasse la seule économie : « La transition est aussi un contrat social. Elle déterminera la capacité de notre nation à se projeter dans le XXIᵉ siècle sans reproduire les impasses du passé. » Dans un contexte régional où le Gabon et l’Angola amorcent des virages similaires, la compétition pour les capitaux verts s’annonce vive. Pointe-Noire a lancé le débat ; reste à savoir si Brazzaville saura transformer l’essai diplomatique en réformes tangibles. Les douze prochains mois seront décisifs pour que l’après-pétrole congolais devienne plus qu’un slogan.