Ndjamena consacre une inflexion diplomatique
La soixante-quinzième session du Comité des ministres de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar s’est déroulée à Ndjamena sous une chaleur sahélienne qui n’a nullement refroidi l’ardeur des délégations. Au terme des délibérations, la ministre tchadienne des transports, de l’aviation civile et de la météorologie nationale, Fatima Goukouni Weddey, a été portée à la présidence pour un mandat d’un an. Cette rotation régulière, conçue par le traité de Dakar de 1974, exprime la volonté des États de maintenir un équilibre géopolitique entre les blocs d’Afrique centrale, de l’ouest et de l’océan Indien. Dans les salons de l’hôtel où se tenait la réunion, plusieurs délégués ont salué, à voix feutrée, « la maturité institutionnelle d’une organisation capable d’orchestrer la relève sans heurts », selon les mots d’un conseiller congolais.
Un mandat placé sous le sceau de l’urgence technologique
À peine élue, Mme Goukouni Weddey a esquissé les contours d’un programme qui s’annonce dense. L’essor des drones civils, la pression sur la bande passante satellitaire et l’émergence d’outils de gestion automatisée du trafic réclament, insiste-t-elle, « une vigilance renforcée et un investissement coordonné ». Les données du Bureau régional de l’OACI montrent que le trafic passagers en Afrique sub-saharienne croît en moyenne de 5 % par an, tandis que la taille de l’espace aérien contrôlé par l’Asecna dépasse cinquante millions de kilomètres carrés. Maintenir l’interopérabilité des radars, former des contrôleurs bilingues et sécuriser la cybersphère figurent désormais en tête de l’agenda.
L’environnement, nouvelle boussole du ciel africain
L’Union africaine, lors de son dernier sommet sur le climat, a rappelé que la décarbonation du transport aérien demeure un impératif. L’Asecna, par la voix de sa nouvelle présidente, entend conjuguer sécurité et responsabilité environnementale. Il s’agit d’aligner les procédures de descente continue, de stimuler l’usage de carburants durables et d’accélérer la modernisation des centrales météo. Brazzaville, qui abrite un centre régional de prévision satellitaire, a proposé d’héberger un atelier permanent sur l’anticipation des phénomènes convectifs tropicaux, essentiels pour réduire les déroutements de vol et donc les émissions inutiles. « Le Congo met à disposition son expertise sans exclusive », confie un diplomate proche du président Denis Sassou Nguesso, soulignant la volonté de contribuer positivement à l’effort collectif.
Le rôle pivot des capitales partenaires, de Brazzaville à Antananarivo
Depuis plusieurs années, la République du Congo milite pour une densification des corridors aériens reliant l’Afrique centrale et australe. La nomination d’une personnalité issue du Sahel permet de rééquilibrer la représentation alors que les pays côtiers, historiques pourvoyeurs de trafic, dominaient jusqu’ici les instances. Les directions de l’aviation civile de Pointe-Noire et de Bangui préparent, de concert, un projet de couplage de leurs nouveaux radars secondaires, initiative saluée par l’OACI comme un exemple de coopération Sud-Sud. De son côté, Antananarivo poursuit la rénovation de ses systèmes ILS, indispensable pour sécuriser les approches sur terrain insulaire. Ces chantiers illustrent la complémentarité recherchée par Madame Goukouni Weddey : chaque État apporte une brique technique à l’édifice commun.
Une gouvernance au service de l’intégration régionale
Le Conseil des ministres de l’Asecna, organe délibérant suprême, fixe la politique générale, désigne les dirigeants et contrôle l’exécution budgétaire. Sa présidence, à laquelle accède aujourd’hui la Tchadienne, devient le vecteur d’une diplomatie de l’infrastructure au service de l’intégration. Plusieurs observateurs voient l’Agence comme un laboratoire où se forge une souveraineté partagée, à rebours des logiques de fragmentation souvent imputées au continent. Dans les couloirs de Ndjamena, un haut fonctionnaire congolais notait que « l’on parle ici de ciel commun », expression révélatrice de la conscience d’intérêts entremêlés. Les contributions financières, pondérées selon le trafic de chaque membre, garantissent un mécanisme de solidarité : les recettes des hubs de Dakar, Douala ou Cotonou soutiennent l’entretien des pistes plus modestes de Moundou ou Ouesso.
Scénarios et attentes de la communauté internationale
À court terme, la présidente doit négocier avec Bruxelles la reconnaissance mutuelle des programmes de sécurité et avec Pékin l’extension des services satellitaires BeiDou au bénéfice des lignes transsahéliennes. Washington, pour sa part, encourage la montée en gamme des normes de cybersécurité, condition préalable à l’augmentation des fréquences cargo centrées sur les minerais stratégiques. Dans ce faisceau d’exigences, la voix de Ndjamena devra rester audible, forte du soutien déclaré de Brazzaville et d’Abuja. « Nous comptons sur une gouvernance stable pour attirer les investisseurs », déclarait récemment le président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale.
Cap sur une navigation aérienne africaine sûre et durable
La feuille de route qui se dessine exprime une ambition raisonnable : faire de l’Asecna un pôle d’excellence qui conjugue sûreté, compétitivité et écologie. Le mandat de Fatima Goukouni Weddey sera court, mais la dynamique enclenchée pourrait prolonger ses effets bien au-delà des douze prochains mois. Pour les passagers, l’enjeu se traduira par un ciel africain plus sûr et des opérations plus ponctuelles ; pour les États, il se décline en termes de connectivité économique et de rayonnement géopolitique. À l’heure où l’Afrique entend parler d’une seule voix dans les enceintes onusiennes, la gouvernance aérienne apparaît comme un levier discret mais déterminant. Et Brazzaville, en soutenant sans réserve la nouvelle présidente, illustre la recherche d’un consensus qui transcende les frontières, au service d’un dessein continental partagé.
