Un départ retentissant qui fragilise le dispositif politique de Yaoundé
Annoncée le 25 juin, la démission d’Issa Tchiroma Bakary du ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle a surpris moins par son principe que par sa tonalité. « Je ne peux plus appeler à voter pour un régime à bout de souffle », a lancé l’ancien porte-parole, accusant le système d’être « au service d’un homme ». La rupture met fin à près de deux décennies de collaboration étroite avec le président Paul Biya, dont il fut l’un des défenseurs les plus zélés. En s’émancipant de la discipline gouvernementale, l’intéressé nourrit les spéculations sur l’éventualité d’une candidature à la prochaine présidentielle, et surtout sur l’effet domino qu’une telle prise de distance pourrait avoir au sein de la coalition au pouvoir.
Issa Tchiroma, du porte-voix gouvernemental au prétendant présidentiel
Ancienne figure de proue du Front national d’Ahmadou Ahidjo avant de rallier le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), Issa Tchiroma a longtemps incarné la synthèse entre l’autorité étatique centrale et les aspirations d’une partie du Nord. Sa trajectoire, faite de fidélités successives, lui confère aujourd’hui un capital politique difficile à ignorer. Sitôt la lettre de démission remise, des comités de soutien plutôt organiques – commerçants de Garoua, associations estudiantines et diaspora nordiste – ont publiquement appelé à « porter la voix du renouvellement » lors du scrutin de 2025. Reste à savoir si cette dynamique saura dépasser l’effet d’annonce et s’organiser autour d’une plateforme programmatique crédible dans un paysage dominé par la logistique du parti présidentiel.
L’équation sociopolitique dans le Nord, entre loyautés et frustrations
Historiquement, le Nord a constitué l’une des réserves électorales essentielles du chef de l’État. Les investissements routiers et agro-pastoraux y ont entretenu une loyauté relative, sans toutefois répondre aux attentes d’une jeunesse confrontée au chômage et aux effets collatéraux de l’instabilité sahélienne. La parole de M. Tchiroma, natif de la région, trouve ainsi un écho particulier lorsqu’il dénonce le « malheur de la jeunesse camerounaise ». Pour les élites locales, la dissidence ouvre une fenêtre de négociation : rallier le RDPC moyennant davantage de transferts budgétaires, ou embrasser le pari du changement. Dans les deux cas, la cohésion régionale pourrait faire office d’arbitre, d’autant que les leaders religieux et traditionnels s’efforcent de contenir les tensions déclenchées par la multiplication des groupes d’autodéfense communautaires.
Les fractures internes du RDPC face à la longévité du président Biya
À Yaoundé, la réaction officielle a privilégié le flegme. Plusieurs cadres ont minimisé le départ d’un « compagnon de route » tout en rappelant « l’unité indéfectible » du parti majoritaire. Pourtant, en coulisses, la sortie de ce poids lourd ravive les interrogations sur la succession d’un chef d’État de 91 ans. Si la constitution ne limite pas le nombre de mandats, les ambitions s’expriment désormais à voix moins feutrée : certains barons estiment que l’épisode Tchiroma illustre les risques d’une attente prolongée, tandis que les jeunesses partisanes plaident pour un renouvellement encadré afin d’éviter un scénario de transition houleuse. La posture du Premier ministre Joseph Dion Ngute, réputé loyal mais attentif à l’équilibre des forces, sera scrutée dans les prochains remaniements.
Entre incertitudes sécuritaires et attentes économiques
La défection intervient alors que le pays affronte une conjonction de défis sécuritaires : résurgence de Boko Haram à l’Extrême-Nord, persistance de la crise anglophone dans le Sud-Ouest, pressions migratoires de la Centrafrique. Sur le front économique, l’inflation nourrit un malaise social perceptible jusque dans les cercles urbains traditionnellement favorables au pouvoir. Dans ce contexte, le discours réformateur d’Issa Tchiroma pourrait séduire les électeurs réclamant une redistribution plus équitable des fruits de la croissance – 3,6 % en 2023 selon la Banque mondiale – à condition qu’il s’accompagne d’engagements concrets en matière de gouvernance budgétaire et de lutte contre la corruption.
Regards extérieurs : CEMAC, partenaires bilatéraux et diplomatie régionale
Les chancelleries européennes et asiatiques suivent l’épisode avec prudence, conscientes que la stabilité du Cameroun demeure un pivot pour la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Un haut diplomate français confie que « la constance institutionnelle reste le critère premier », tout en reconnaissant que la longévité de certains régimes interroge les opinions publiques occidentales. Au sein de la CEMAC, l’éventualité d’une transition négociée est jugée moins risquée qu’une fracture brutale, surtout au regard des récents précédents sahéliens. Pour l’heure, le palais d’Étoudi conserve l’avantage de l’appareil d’État, mais la scène est désormais ouverte à une compétition que d’aucuns n’envisageaient plus aussi vive il y a encore quelques mois.