Un anniversaire qui aiguise les attentes africaines
Le 26 juin 2025, dans la salle plénière des Nations Unies décorée pour les huit décennies de la Charte, João Lourenço a choisi un ton solennel mais ferme. Le chef de l’État angolais, également président en exercice de l’Union africaine, a rappelé que la création de l’ONU en 1945 fut animée par la volonté d’ériger un ordre multilatéral capable de prévenir de nouvelles conflagrations. Or, note-t-il, « l’écart se creuse entre la promesse fondatrice et la réalité quotidienne des crises », particulièrement en Afrique où près de la moitié des opérations de paix demeurent déployées. Cette mise en perspective historique n’est pas anodine : elle sert une double argumentation, mémorielle et prospective, justifiant une révision en profondeur de l’architecture décisionnelle onusienne.
La géométrie du veto à l’épreuve des crises contemporaines
Le Conseil de sécurité, construit autour de cinq membres permanents détenteurs du droit de veto, incarne aux yeux de Lourenço un modèle hérité d’une configuration stratégique révolue. La paralysie observée sur des dossiers tels que le conflit israélo-palestinien ou la guerre en Ukraine alimente l’argumentaire de ceux qui plaident pour un élargissement de la composition, voire une limitation du veto en matière d’atrocités de masse. L’Angola propose que deux sièges permanents et deux non permanents soient attribués au continent africain, idée déjà avancée par le Consensus d’Ezulwini. Lourenço estime qu’il est « contradictoire de mobiliser les troupes africaines dans la gestion des crises sans leur octroyer la voix stratégique correspondante ».
Une diplomatie angolaise en résonance avec Brazzaville
Dans les couloirs de l’ONU, plusieurs diplomates notent la convergence croissante entre Luanda et Brazzaville sur la gouvernance mondiale. Le Congo-Brazzaville, sous la conduite du président Denis Sassou Nguesso, soutient de longue date l’idée d’une représentation élargie de l’Afrique, estimant qu’un Conseil plus inclusif créerait un environnement sécuritaire favorable aux initiatives de développement régionales. Cette solidarité sous-régionale, discrète mais constante, renforce le poids des capitales d’Afrique centrale dans les tractations informelles, notamment auprès de la France et de la Chine, interlocuteurs privilégiés des deux États.
Financement des opérations de paix : signaux positifs mais encore fragiles
La résolution de décembre 2023, par laquelle le Conseil a accepté de financer les missions de l’Union africaine sur contributions obligatoires, a été saluée comme un tournant. Cependant, le budget cumulé de 5,6 milliards de dollars alloué jusqu’en juin 2025 accuse déjà une contraction de 8,2 %. Pour Lourenço, cette lente érosion budgétaire illustre la nécessité d’une réforme structurelle : « Sans gouvernance rénovée, la logique de court-terme finira par épuiser la capacité de prévention », avance-t-il. Des analystes du Centre pour le Dialogue Humanitaire rappellent en outre que la prévisibilité du financement demeure une condition indispensable à la crédibilité des mandats, qu’il s’agisse de la MINUSCA en Centrafrique ou de la MONUSCO en République démocratique du Congo.
Vers un compromis global : scénarios et marges de manœuvre
Sur le plan diplomatique, la fenêtre d’opportunité semble étroite. Washington accueille avec prudence l’idée d’un élargissement, Moscou et Pékin se montrent favorables à un siège africain permanent mais sans remise en cause de leur veto, tandis que Paris se dit prête « à une réforme audacieuse, dès lors qu’elle ne fragilise pas la capacité d’action du Conseil ». Des sources onusiennes indiquent qu’un groupe de travail informel, animé par l’Algérie et le Japon, explore des variantes de majorité qualifiée pour contourner le veto dans les cas d’atrocités massives. Lourenço, lui, privilégie une stratégie de « coalition évolutive » : rassembler d’abord une majorité des deux tiers à l’Assemblée générale, puis négocier des droits transitoires pour les nouveaux permanents, inspirés du modèle latino-américain adopté à l’Organisation des États américains dans les années 1970.
En filigrane, l’enjeu dépasse la simple répartition des sièges. Il s’agit, selon l’expression d’un diplomate congolais, de « ré-enchâsser la confiance dans le multilatéralisme ». L’on comprend alors pourquoi le plaidoyer de Lourenço trouve un écho particulier sur le continent. L’Angola, riche de son expérience de médiateur en Afrique centrale, et le Congo-Brazzaville, fort de ses initiatives discrètes pour la stabilisation régionale, s’affirment comme des relais incontournables d’un consensus africain. Reste que le chemin vers la réforme exigera patience et créativité, deux vertus que l’art de la négociation ne saurait dissocier.