L’élan africain à la tête du G20
Lorsque la ministre sud-africaine des Relations internationales a déclaré à Addis-Abeba que « le multilatéralisme ne survivra que s’il devient véritablement inclusif », nombre d’africanistes ont perçu le ton d’une présidence du G20 décidée à rompre avec la routine. Au terme d’un cycle entamé par l’Indonésie et poursuivi par l’Inde puis le Brésil, Pretoria hérite d’un forum fracturé par les rivalités systémiques entre Washington et Pékin, les secousses géopolitiques en Europe de l’Est et les contrecoups inflationnistes d’une reprise post-pandémie inégale. L’Afrique n’entend pourtant pas rester spectatrice. Signe des temps : les sherpas sud-africains ont placé la devise « Solidarité, Égalité, Durabilité » en exergue d’un programme centré sur les vulnérabilités des économies du Sud, de Libreville à Lusaka.
Alléger la dette sans brader l’avenir
Le poids de la dette extérieure subsaharienne, passé de 426 milliards de dollars en 2012 à plus de 815 milliards en 2021, constitue un frein massif à la relance. Vingt-trois pays affectent davantage de ressources au service de la dette qu’à la santé ou à l’éducation. Le Congo-Brazzaville, dont le ratio dette/PIB avoisine 70 %, a amélioré sa soutenabilité grâce à la stratégie négociée avec le FMI en 2023, mais demeure exposé à la volatilité des cours pétroliers. Pretoria veut profiter du sommet de Johannesburg pour muscler le « Cadre commun » du G20, jugé trop lent après les feuilletons zambien et tchadien. L’ex-ministre sud-africain Trevor Manuel pilote un panel d’experts chargé de présenter un jeu d’instruments allant de l’émission d’obligations en monnaie locale au renforcement de la transparence contractuelle. L’objectif est clair : réduire la prime de risque africain, qui coûte encore 75 milliards de dollars par an en intérêts supplémentaires selon le PNUD.
Adapter le continent à la fièvre climatique
Moins de 4 % des émissions mondiales, mais la part du lion des catastrophes : l’équation climatique africaine est devenue un paradigme d’injustice systémique. À Brazzaville, où le couvert forestier constitue l’un des plus vastes puits de carbone tropicaux, les autorités soulignent le paradoxe d’un pays séquestreur de CO₂ qui peine pourtant à mobiliser des financements concessionnels pour la diversification de son économie. Pretoria propose d’intégrer l’adaptation et la résilience au cœur des plans de transition des entreprises et d’élargir l’assurance-catastrophe afin de couvrir les pertes agricoles récurrentes dans le bassin du Congo. Une étude de la CEA juge qu’un marché africain du carbone bien structuré pourrait dégager jusqu’à 82 milliards de dollars par an. Pour crédibiliser cette piste, l’Afrique du Sud défend l’élaboration d’un Modèle commun de données sur les crédits carbone, considéré comme bien public mondial destiné à lever la méfiance des investisseurs.
Assécher les flux illicites, irriguer le développement
Les flux financiers illicites privent le continent de près de 89 milliards de dollars annuels, soit davantage que l’aide publique au développement reçue. Le secteur extractif, stratégique pour le Congo-Brazzaville comme pour la RDC voisine, figure parmi les plus vulnérables aux pratiques d’érosion de la base fiscale. Fort de son expérience dans la mise en œuvre des normes du Groupe d’action financière, Pretoria veut faire adopter au G20 un appel à dix principes globaux visant la transparence des bénéficiaires effectifs et la numérisation des douanes. Pour l’ambassadeur congolais auprès de l’ONU, « chaque franc recouvré équivaut à un franc de souveraineté retrouvée ». La proposition sud-africaine prévoit également une assistance technique ciblée afin d’aider les administrations fiscales à exploiter les mégadonnées issues du commerce transfrontalier.
Vers un sommet de Johannesburg décisif
Le gouverneur de la Banque centrale sud-africaine a prévenu : « À force de courir tous les lièvres, le G20 risque de revenir bredouille ». D’où l’idée d’un agenda ramassé autour de la dette, du climat et des flux illicites, avec des livrables concrets pour novembre. Pour l’Afrique centrale, la conjoncture est propice. La stabilisation des ratios d’endettement, la remontée progressive des prix des métaux critiques et la perspective d’une certification internationale des puits de carbone du bassin du Congo laissent augurer une fenêtre d’investissement sans précédent. Encore faut-il que les partenaires du Nord transforment leurs annonces en lignes budgétaires. À cet égard, l’approche sud-africaine — pragmatique, pilotée par les besoins et attentive aux équilibres politiques — offre une architecture de négociation susceptible de fédérer au-delà des clivages géopolitiques. Pour Brazzaville comme pour l’ensemble de la région, réussir Johannesburg reviendrait à démontrer que le multilatéralisme demeure un levier efficace, pour peu qu’on lui donne un contenu concret et mesurable.