Rabat revendique un leadership africain assumé
En marge de la 4ᵉ Conférence des Nations unies sur le financement du développement, les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont multiplié les déclarations élogieuses à l’égard du souverain marocain. Karamoko Jean-Marie Traoré, Abdoulaye Diop et Bakary Yaou Sangaré disent voir dans le Royaume « un partenaire incontournable pour l’Agenda 2063 de l’Union africaine ». L’épisode confirme la stratégie de diplomatie économique patiemment construite par Mohammed VI depuis plus de deux décennies : présence régulière dans les sommets régionaux, investissements croisés dans les télécommunications, l’agro-industrie et l’énergie, mais aussi mise en avant d’un narratif de solidarité Sud-Sud qui séduit de nombreuses capitales.
Le corridor atlantique : une idée simple, un potentiel colossal
L’initiative dite « Atlantique » entend connecter quatre États enclavés—Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad—aux ports marocains de Dakhla, Agadir et Tanger Med. Pour les experts de la CNUCED, le coût logistique d’un conteneur venant d’Asie pourrait chuter de près de 30 % si les corridors ferroviaires et routiers envisagés atteignent leurs objectifs. « C’est un projet structurant qui change la donne pour l’hinterland sahélien », estime le professeur Amadou Bâ de l’université de Dakar. L’accès direct à l’océan ouvre aussi la voie à une diversification des partenaires commerciaux : hydrocarbures nigériens, coton burkinabè ou élevage malien trouveraient des débouchés plus compétitifs vers l’Europe ou l’Amérique latine.
Montage financier : entre fonds souverains et banques multilatérales
La réussite d’un tel chantier repose sur un ingénieux assemblage de ressources. Depuis Casablanca Finance City, plusieurs banques panafricaines—à commencer par Attijariwafa Bank et la Banque centrale populaire—travaillent à des instruments de project finance libellés en dirhams pour sécuriser les entreprises locales. Parallèlement, la Banque africaine de développement a déjà laissé entendre qu’elle pourrait mobiliser jusqu’à 1,5 milliard de dollars en prêts concessionnels pour les tronçons critiques. À Sevilla, Bakary Yaou Sangaré a souligné « l’expertise marocaine dans les partages de risques », rappelant le succès du complexe solaire Noor à Ouarzazate, financé à 80 % par des partenaires internationaux grâce à des garanties souveraines.
Capital humain : le pari de la formation et de l’employabilité
Outre les infrastructures, Rabat mise sur la circulation des compétences. Depuis 2015, plus de 12 000 étudiants sahéliens ont bénéficié de bourses d’études dans les universités marocaines. Les instituts spécialisés, à l’instar de l’Institut de formation aux métiers du pétrole et du gaz de Kenitra, proposent des cursus adaptés aux besoins des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). « Nous avons besoin d’ingénieurs capables d’industrialiser notre coton et de transformer nos minerais sur place », confie Karamoko Jean-Marie Traoré. Ce socle humain est considéré comme la première digue contre la migration irrégulière et la précarité, facteurs aggravants de l’instabilité sécuritaire.
Sécurité et développement : faces d’une même pièce
Abdoulaye Diop le martèle : « Il n’y a pas de développement durable sans sécurité ». La triangulation Nouakchott-Rabat-Brazzaville, souvent passée sous silence, constitue un atout supplémentaire. Le Congo-Brazzaville, membre central de la CEEAC, multiplie les initiatives de partage de renseignements et de formation avec les armées du Sahel, tout en s’abstenant de toute ingérence politique. En retour, les États sahéliens soutiennent les efforts de médiation de l’envoyé spécial congolais pour la crise centrafricaine, illustrant la vision d’interdépendance prônée par l’Union africaine.
Vers une recomposition du jeu régional
L’offensive marocaine intervient dans un contexte de retrait progressif de certains partenaires traditionnels. Face à la réduction des dispositifs militaires occidentaux, les États sahéliens cherchent de nouveaux leviers. L’axe AES-Maroc se veut complémentaire des initiatives portées par la CEDEAO, mais aussi par la CEEAC où Brazzaville joue un rôle modérateur. Les diplomates européens y voient un déplacement du centre de gravité vers l’Atlantique, susceptible de rapprocher davantage le continent du Pacte vert et des chaînes de valeur décarbonées.
Reste l’épineuse question de la gouvernance transfrontalière : douanes harmonisées, normes phytosanitaires et sécurisation des couloirs logistiques devront être négociées avec minutie. Un premier accord de principe sur la libre circulation des marchandises, signé à Rabat le mois dernier, laisse entrevoir la possibilité d’un marché commun sahélo-atlantique à l’horizon 2030.
Une fenêtre d’opportunité à consolider
La dynamique actuelle confirme l’émergence d’un nouvel imaginaire géo-économique, où le Sahara n’est plus une barrière mais un pont. Pour nombre de diplomates africains, la clé réside désormais dans la capacité collective à traduire les discours en projets bancables, à maintenir la stabilité politique et à susciter l’adhésion des populations riveraines. Dans cet écosystème naissant, l’engagement discret mais constant de Brazzaville en faveur du dialogue régional contribue à l’ancrage d’un multilatéralisme pragmatique, indispensable pour pérenniser les avancées promises par le corridor atlantique.