Un signal financier qui dépasse le simple appui budgétaire
L’annonce, formulée à Bangui par le conseiller financier pour l’Afrique auprès de la Direction générale du Trésor, Yves Charpentier, sonne comme un retour officiel de la France dans le champ économique centrafricain. Les 16,4 milliards de FCFA – soit un peu moins de 29 millions USD – constituent certes une goutte d’eau au regard des besoins d’infrastructures évalués par la Banque mondiale à plus de 800 millions USD pour la seule décennie à venir. Toutefois, pour un Trésor public fragilisé par la contraction des recettes douanières et l’érosion de la fiscalité intérieure, le prêt représente un ballon d’oxygène immédiat et, surtout, un symbole politique. Les observateurs retiennent que la décision intervient moins de deux ans après la suspension partielle des aides publiques de Paris, conséquence d’un refroidissement alimenté par la présence sécuritaire russe dans le pays.
Des conditions concessionnelles taillées pour le redressement des comptes
Selon le ministère centrafricain des Finances, le prêt repose sur un taux d’intérêt « nettement inférieur au coût moyen de la dette commerciale » et une maturité de quinze ans avec un différé de grâce de cinq ans. De telles conditions, jadis réservées à l’Aide publique au développement, contrastent avec les taux compris entre 7 et 9 % que Bangui obtient actuellement sur le marché sous-régional de la Banque des États de l’Afrique centrale. Hervé Ndoba, patron de la cage d’or, insiste sur la dimension contracyclique du soutien : « Il permettra d’absorber le pic de service de la dette intérieure attendu en 2025 sans compromettre les dépenses sociales ». Le Fonds monétaire international, qui vient d’achever une mission au titre de l’article IV, voit dans cette opération un facteur de consolidation budgétaire susceptible de ramener le déficit global sous la barre des 3 % du PIB.
Santé et protection sociale, axes prioritaires du décaissement
La ventilation indicative convenue entre Bangui et Paris réserve près de 40 % de l’enveloppe au financement de structures hospitalières régionales, notamment à Bambari et Bossangoa, où l’Organisation mondiale de la santé signale une réémergence de la rougeole. Un autre quart sera consacré à l’effacement d’arriérés dus aux fournisseurs locaux de biens et services, démarche que la présidence voit comme un levier de relance de la trésorerie des petites entreprises. Enfin, environ 30 % doivent abonder le budget 2025 afin de préserver les subventions aux produits de première nécessité, dans un contexte d’inflation alimentaire dépassant 8 % en glissement annuel.
Lectures géopolitiques : Paris, Moscou, Bruxelles, un triangle d’influences
Au-delà des aspects financiers, la décision française se comprend à l’aune des recompositions sécuritaires en Afrique centrale. Le retrait progressif de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique a laissé un vide partiellement comblé par des entrepreneurs militaires russes. Pour Paris, relancer la coopération économique constitue une manière douce de réaffirmer sa légitimité historique sans heurter frontalement Moscou. L’Union européenne, qui finalise un programme d’appui de 65 millions EUR, salue une « initiative complémentaire ». Dans les couloirs de la Commission, un diplomate évoque un « alignement prudent des partenaires traditionnels afin d’éviter une polarisation préjudiciable aux populations ».
Effet d’entraînement régional et regard de Brazzaville
Si la décision concerne d’abord Bangui, ses répercussions se lisent déjà dans les capitales voisines. À Brazzaville, les autorités perçoivent dans le geste français la confirmation d’une stratégie de stabilisation par la dette concessionnelle, stratégie que le président Denis Sassou Nguesso défend régulièrement lors des sommets de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Selon un conseiller économique congolais, « l’afflux de liquidités à Bangui pourrait renforcer les échanges sous-régionaux et créer des créneaux pour nos entreprises du BTP ». De son côté, Yaoundé observe attentivement l’effet sur les flux logistiques du corridor Douala-Bangui, clef pour le commerce camerounais.
Entre diversification et continuité : quel futur pour la relation franco-centrafricaine ?
Le prêt sera décaissé en deux tranches, la première dès septembre 2025, la seconde avant décembre de la même année, sous réserve du respect d’indicateurs de gouvernance budgétaire. Les autorités centrafricaines assurent vouloir maintenir une diplomatie économique d’équilibre, ouverte tant aux bailleurs traditionnels qu’aux émergents. L’option d’un euro-obligation sous-régionale, évoquée au printemps, demeure sur la table mais dépendra de la capacité du gouvernement à démontrer, d’ici là, une trajectoire de dette soutenable. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, certains députés voient dans le retour de la France un signe de « normalisation », tandis que les organisations de la société civile appellent à une transparence accrue dans l’utilisation des fonds.
Au-delà des débats, une constante se dégage : l’urgence de restaurer des services publics de base dans un pays où, selon l’ONU, plus de 70 % des habitants vivent encore sous le seuil de pauvreté. Le pari de Bangui, en se réouvrant aux guichets français, est de conjuguer stabilisation financière et gains sociaux tangibles. Pour Paris, la réussite de l’opération serait un témoignage de la pertinence d’un engagement rénové en Afrique centrale, loin des antagonismes qui ont récemment obscurci l’horizon du partenariat bilatéral.