Ce qu’il faut retenir
Au cœur d’une capitale confrontée à une inflation persistante, Bangui lance l’opération Tonnerre : quatre jours de contrôles musclés visant les marchés et supermarchés accusés de surfacturer et de distribuer des produits avariés. L’objectif affiché est de protéger des consommateurs déjà fragilisés.
Flambée des prix et colère des ménages
Depuis le second semestre, le panier moyen d’une famille banguissoise a bondi de près de 30 %, selon l’Institut centrafricain de statistiques. Riz importé, huile végétale et savon connaissent les hausses les plus aiguës, nourrissant mécontentement et méfiance à l’égard des commerçants.
Cette tension sur les prix s’explique en partie par le renchérissement du transport routier sur le corridor Douala-Bangui, rallongé par des barrages sécuritaires et la hausse des frais logistiques au Cameroun, principal poumon portuaire du pays enclavé.
Mais le gouvernement pointe également des pratiques spéculatives internes : étiquetage fantaisiste, conversions abusives du franc CFA au dollar et constitution de stocks pour raréfier l’offre. Ces accusations alimentent un débat récurrent sur la responsabilité partagée entre importateurs, grossistes et détaillants.
Les ressorts régionaux de la crise d’approvisionnement
Les perturbations actuelles tirent leur origine des violences post-électorales survenues au Cameroun fin 2023. Les blocages ponctuels de la Nationale 3 ont réduit de près de 25 % le flux de camions vers la Centrafrique, selon le Conseil camerounais des chargeurs.
Le corridor est vital : 80 % des denrées, des carburants et du ciment empruntent cette seule artère. Dans ce contexte, la moindre tension politique à Yaoundé ou à Douala se répercute instantanément à Bangui, montrant la dépendance structurelle d’un marché intérieur restreint.
Face à cette vulnérabilité, Bangui explore des alternatives, du couloir fluvial Congo-Oubangui jusqu’aux liaisons ferroviaires avec le Tchad. Mais ces options nécessitent de lourds investissements et une coordination régionale qui, pour l’heure, progresse au rythme prudent des négociations sous-régionales.
Objectifs et méthodes de l’opération Tonnerre
Lancée le 19 novembre, l’opération Tonnerre mobilise 120 inspecteurs, appuyés par la police économique, pour examiner les factures, tester la qualité microbiologique des denrées et vérifier l’affichage des prix homologués sur 35 sites commerciaux de la capitale.
Les équipes notent chaque infraction dans une base numérique partagée avec le parquet, une innovation saluée par l’ONG Transparency Centrafrique, qui y voit un outil de traçabilité. Les contrevenants risquent des amendes allant de 50 000 à 5 millions de francs CFA.
Le ministère du Commerce insiste sur la dimension pédagogique : des sessions de sensibilisation au Code de la consommation seront proposées aux fédérations professionnelles après les contrôles. « Nous voulons assainir le marché, pas le braquer », explique Jamel Kanimbia, cheffe de service.
Cadre légal du commerce intérieur
La loi sur la concurrence de 2019, révisée sous la présidence de Faustin-Archange Touadéra, fixe des plafonds de marges bénéficiaires à 15 % sur les produits de première nécessité et autorise le ministre à saisir ou détruire les marchandises jugées dangereuses pour la santé publique.
Le décret d’application, publié au Journal officiel en mars 2020, instaure aussi un registre numérique des prix de référence. Chaque commerçant doit y déclarer ses stocks mensuels. Les manquements répétés peuvent entraîner une suspension de licence, mesure rarement utilisée jusqu’ici faute de moyens de contrôle.
Premiers retours de terrain et réactions des acteurs
Au deuxième jour, 57 boutiques avaient déjà reçu des avertissements, selon une note interne consultée par notre rédaction. Les infractions les plus courantes concernent l’absence d’étiquetage en français et la vente d’huile végétale frelatée, importée en vrac puis reconditionnée localement.
Le Groupement national des commerçants centrafricains soutient l’initiative, tout en demandant un dialogue sur les coûts d’importation. « Il ne faut pas confondre spéculation et répercussion des charges », plaide son président, qui réclame un mécanisme de fixation concertée des marges.
Côté consommateurs, l’association des ménages de Bangui note déjà une légère baisse du prix du kilo de riz indien, passé de 650 à 600 F CFA. « Si l’opération réussit, cela montrera que l’État peut protéger son peuple », se félicite la présidente Hermine-Zita.
Scénarios pour stabiliser les prix
Plusieurs pistes sont explorées par les techniciens du ministère : subvention ciblée du transport routier, exonération temporaire des droits de douane sur le riz importé et mise en concurrence accrue des traders via des achats groupés menés par la Banque centrale.
Des experts de la CEMAC conseillent également de renforcer les entrepôts tampons publics, capables d’injecter rapidement des stocks stratégiques. « Une réserve alimentaire régionale amortirait les chocs exogènes », soutient l’économiste camerounais Aristide Nguembé, invité à Bangui pour une mission d’appui technique.
Et après ?
À l’issue des quatre jours, le ministère compte publier un rapport public assorti d’une cartographie des infractions par quartier. L’objectif est d’instaurer un baromètre trimestriel inspiré des observatoires des prix déployés au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Les bailleurs, notamment la Banque africaine de développement, envisagent d’appuyer financièrement l’élargissement de Tonnerre aux villes secondaires. Une telle extension pourrait renforcer la transparence tout au long des chaînes de distribution, préalable essentiel au climat des affaires recherché par Bangui et ses partenaires.
En coulisses, le gouvernement prépare déjà une version 2.0 de Tonnerre, dotée de capteurs mobiles de température pour surveiller la chaîne du froid des produits laitiers.
