Pressions russes et résistance centrafricaine
Dans les salons feutrés du palais de la Renaissance, la question n’est plus de savoir si Moscou entend restructurer sa présence militaire en Afrique centrale, mais selon quelles modalités Bangui acceptera de s’y conformer. Depuis plusieurs mois, le vice-ministre russe de la Défense a multiplié les allers-retours vers la capitale centrafricaine pour proposer – certains parlent d’« exiger » – l’intégration de la toute nouvelle Africa Corps en lieu et place du groupe Wagner, dont l’embryon d’État-major demeure pourtant solidement implanté auprès des Forces armées centrafricaines. « Le Kremlin souhaite des contrats classiques, libellés en devises, alors que notre pays n’en a pas la capacité », confie, sous couvert d’anonymat, un conseiller présidentiel. Le message de Bangui demeure limpide : la sécurité demeure prioritaire, mais pas à n’importe quel prix.
Le modèle Wagner, un précédent africain déterminant
Depuis 2018, Wagner a construit un maillage sécuritaire original, superposant formation, accompagnement au combat et garde rapprochée du chef de l’État Faustin-Archange Touadéra. En retour, l’entreprise paramilitaire gère plusieurs concessions d’or et de diamants, consolidant ainsi un modèle minéral-contre-sécurité. La campagne de 2023 pour la révision constitutionnelle, supervisée par des instructeurs russophones, a prouvé sa capacité d’influence politique. Cette expérience confère à Wagner un capital de légitimité opérationnelle que l’Africa Corps, encore théorique aux yeux de nombreux officiers centrafricains, peine à égaler. « Ils connaissent nos corridors forestiers et la sociologie des milices locales », rappelle un colonel de l’armée loyaliste.
Africa Corps : centralisation moscovite et risques opérationnels
Au-delà de la question financière – Moscou réclame désormais des paiements sonnants et trébuchants, évalués par des sources militaires à plusieurs milliards de francs CFA –, l’initiative Africa Corps traduit la volonté du ministère russe de la Défense de reprendre la main sur un dispositif qu’il jugeait trop autonome sous la houlette de feu Evgueni Prigojine. La doctrine annoncée met l’accent sur la formation préalable plutôt que sur l’appui direct au feu. Or, pour les autorités centrafricaines, la menace reste immédiate : groupes rebelles épars, prédation transfrontalière et trafic d’armes continuent de fragiliser des provinces entières. En l’absence d’une force aguerrie aux combats asymétriques, Bangui redoute un vide sécuritaire que ni la MINUSCA ni l’armée nationale, encore en reconstruction, ne sauraient combler à court terme.
Répercussions régionales pour Brazzaville et la CEEAC
La République du Congo, siège de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, observe cette négociation avec un intérêt particulier. Si l’Africa Corps devait s’imposer en Centrafrique, l’architecture de sécurité régionale s’en trouverait modifiée, offrant à Moscou un relais institutionnel plus directement piloté depuis Moscou. Brazzaville, qui entretient des relations historiques empreintes de pragmatisme avec la Russie, plaide officieusement pour une transition graduelle afin d’éviter tout « effet ciseau » sur les flux commerciaux et la circulation de personnes le long du corridor Bangui-Brazzaville. Dans les cercles diplomatiques congolais, on souligne que la stabilité centrafricaine reste un préalable indispensable au succès de projets d’intégration logistique tels que la voie ferrée Pointe-Noire-Bangui.
Perspectives de stabilité et diplomatie multilatérale
À mesure que se poursuit le ballet discret des émissaires, Bangui semble jouer la montre, cherchant à convertir son poids minier en levier de négociation tout en maintenant sur le terrain la force la plus crédible aux yeux de ses soldats. Le président Touadéra, conscient de la fenêtre d’opportunité que lui offre la rivalité interne russe, ménage ses interlocuteurs sans rompre avec le principe d’une diversification partenariale. Plusieurs diplomates de l’Union africaine évoquent déjà une « solution hybride », associant instructeurs d’Africa Corps et unités wagnériennes résiduelles, le temps qu’un financement innovant – adossé à la future Banque africaine des ressources naturelles – prenne forme. En coulisses, Brazzaville s’emploie à catalyser une plate-forme de dialogue sécuritaire, fidèle à la tradition de médiation défendue par le président Denis Sassou Nguesso. Pour l’heure, l’équation reste ouverte : entre contraintes budgétaires, exigence de souveraineté et dynamique des alliances, la Centrafrique entend préserver le bénéfice d’un partenariat éprouvé tout en négociant, à ses conditions, l’inévitable reconfiguration de la présence militaire russe sur son sol.
