Yaoundé entérine une pause monétaire stratégique
Réunis par visioconférence autour du gouverneur Yvon Sana Bangui, les membres du Comité de politique monétaire de la BEAC ont préféré, le 30 juin 2025, sanctuariser le statu quo. Le taux d’intérêt des appels d’offres reste à 4,50 %, la facilité de prêt marginal à 6 %, tandis que la facilité de dépôt demeure symboliquement à 0 %. Les coefficients de réserves obligatoires, fixés à 7 % pour les exigibilités à vue et 4,50 % pour les exigibilités à terme, n’ont pas tremblé non plus. L’institution régionale, garante de l’orthodoxie monétaire des six États de la CEMAC, justifie ce choix par le reflux graduel de l’inflation et par le besoin de préserver une trajectoire de consolidation des réserves de change.
Un environnement international crispé pèse sur les projections
Le Comité consacre d’abord un long détour à la scène mondiale : selon les prévisions révisées du FMI, la croissance planétaire reculerait à 2,8 % en 2025 avant de se hisser timidement à 3 % en 2026. Entre la persistance des tensions commerciales sino-américaines et la multiplication des points chauds géopolitiques, les flux de capitaux vers les économies émergentes demeurent volatils. « La fragmentation des chaînes de valeur fait peser un risque supplémentaire sur la soutenabilité des comptes extérieurs », a concédé un haut fonctionnaire basé à Washington joint à Yaoundé. Pour une union monétaire ouverte comme la CEMAC, la moindre secousse des marchés joue sur la ligne de flottaison des avoirs extérieurs, rendant la prudence quasi-obligatoire.
Inflation contenue et croissance atone au sein de la CEMAC
Dans l’espace communautaire, l’inflation moyenne glisserait à 2,8 % cette année, en nette amélioration par rapport aux 4,1 % constatés en 2024. Le mécanisme de transmission de la politique monétaire semble donc fonctionner, même si le ralentissement de la demande interne contribue aussi à la détente des prix. En revanche, le PIB agrégé ne progresserait que de 2,4 %, pénalisé par la contraction annoncée de la production pétrolière. Le secteur non pétrolier affiche toutefois une résistance notable, autour de 3,5 %, grâce à la poursuite des investissements publics structurants et à la diversification graduelle voulue par les gouvernements, au premier rang desquels Brazzaville qui soutient les chaînes de valeur agro-industrielles.
Budgets en légère tension, réserves de change sous surveillance
Malgré des mesures d’assainissement budgétaire globalement saluées par les partenaires techniques, le solde public hors dons devrait se creuser de 1,1 % à 1,2 % du PIB en 2025. Cette dérive reste contenue, mais elle intervient dans un contexte où la masse monétaire pourrait bondir de plus de 10 %, à 23 209 milliards de francs CFA, pendant que les réserves externes reculeraient à 7 063 milliards. « L’objectif d’un taux de couverture d’importations de cinq mois demeure atteignable, sous réserve d’une discipline budgétaire partagée », a rappelé le gouverneur, insistant sur la nécessité de préserver la crédibilité du régime de change.
Le casse-tête du financement du secteur privé
En marge de la session, la BEAC a réuni la profession bancaire pour évaluer l’orientation des liquidités. Les banques, attirées par la rémunération attrayante des titres publics, privilégient de plus en plus le financement des États, au détriment des entreprises. « Nous constatons une appétence marquée pour les adjudications souveraines ; cela peut créer un effet d’éviction sur le tissu productif », a alerté Yvon Sana Bangui. Un groupe de travail planche désormais sur des incitations susceptibles d’élargir la distribution du crédit au secteur privé, véritable moteur d’emploi et de création de valeur.
Symbole fiduciaire et message politique
La nouvelle gamme de pièces, mise en circulation le 1ᵉʳ avril 2025, s’est déjà disséminée à 35 % sur l’ensemble du territoire communautaire. Au-delà de la modernisation matérielle, l’opération porte une charge politique : elle incarne l’ancrage de la communauté dans un projet monétaire partagé, vecteur de stabilité. À Brazzaville, les autorités voient dans cette transformation un complément à la stratégie nationale de digitalisation des services financiers, appelée à fluidifier les paiements de l’administration, conformément aux orientations du président Denis Sassou Nguesso en matière de modernisation économique.
Lecture diplomatique d’une décision attendue
En n’optant ni pour un relèvement restrictif ni pour un assouplissement prématuré, la BEAC envoie aux bailleurs et aux agences de notation le signal d’une gouvernance régionale soucieuse d’équilibre. Brazzaville, siège historique de la coopération monétaire et signataire de toutes les réformes de convergence, tire profit de cette sérénité institutionnelle. Dans les chancelleries, on souligne que la stabilité monétaire conforte la diplomatie économique congolaise, soucieuse d’attirer des flux d’investissement dans l’énergie, les infrastructures et l’agro-business. En somme, si la croissance reste modeste, la crédibilité monétaire demeure un levier essentiel pour accroître la visibilité et la marge de manœuvre des décideurs politiques, tout en préservant le pouvoir d’achat d’une population attachée à la stabilité des prix.