Cap sur une nouvelle ère de solvabilité régionale
Au cœur des arcanes monétaires d’Afrique centrale, la Banque des États de l’Afrique centrale vient de franchir un seuil symbolique : son capital social s’élève désormais à 353 milliards de FCFA, soit près de 619 millions de dollars. L’opération, entérinée par le Conseil d’administration en mars 2025 et rendue publique dans les statuts mis à jour au 30 juin 2025, marque une progression de 167,5 % par rapport au précédent niveau. Cette décision s’inscrit dans un contexte où la stabilité macroéconomique constitue un impératif stratégique pour les six États membres de la CEMAC – Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad – confrontés aux effets persistants de la volatilité des cours des matières premières et aux exigences de consolidation budgétaire.
En coulisses, l’exécutif de la BEAC vante une « gestion rigoureuse et transparente » ayant permis de dégager, pour l’exercice 2024, un bénéfice net historique de 354,7 milliards de FCFA. Selon le gouverneur Yvon Sana Bangui, « la recapitalisation consolide la crédibilité de notre institut d’émission et accroît notre capacité d’amortir les chocs exogènes ». Les observateurs voient dans cette trajectoire ascendante le signe d’une résilience renforcée, alors que le monde financier reste attentif aux marges de manœuvre des banques centrales émergentes.
Les ressorts d’une performance régionale
La généalogie de ce succès trouve son origine dans un cocktail de réformes internes : contrôle plus strict des charges d’exploitation, optimisation du portefeuille de réserves et digitalisation accrue des procédures de supervision bancaire. « Nous avons systématiquement ciblé les gisements d’efficacité, sans sacrifier la prudence », confie un cadre de la direction de l’audit interne. La mise en place d’indicateurs de performance trimestriels, inspirés des standards du Fonds monétaire international, aurait aussi contribué à renforcer la discipline budgétaire à l’intérieur de l’institution.
D’un point de vue politique, ce redressement arrive à un moment charnière. Les chefs d’État de la sous-région, à commencer par le président Denis Sassou Nguesso, ont rappelé à plusieurs reprises l’importance d’une banque centrale solide pour soutenir la relance post-pandémie. Lors du dernier sommet de la CEMAC à Brazzaville, le dirigeant congolais a salué « la nouvelle dynamique vertueuse qui consolide l’ancrage du franc CFA et rassure les partenaires internationaux ». Un message reçu cinq sur cinq par les bailleurs, soucieux de voir se confirmer la robustesse du cadre macrofinancier régional.
Les retombées attendues pour les économies de la CEMAC
Au-delà du symbole, la montée en puissance des fonds propres de la BEAC pourrait abaisser le coût du refinancement pour les banques commerciales, favoriser une meilleure transmission de la politique monétaire et soutenir l’octroi de crédit au secteur productif. Les simulations internes suggèrent qu’un renforcement de la solvabilité de la banque centrale réduit la prime de risque régionale d’environ 50 points de base, un gain non négligeable pour les emprunteurs publics et privés.
Pour le Congo-Brazzaville, deuxième producteur de pétrole d’Afrique centrale, la manœuvre arrive à point nommé. Les autorités de Brazzaville, engagées dans un programme de réformes avec le FMI, voient dans cette recapitalisation un argument supplémentaire en faveur d’une trajectoire budgétaire plus soutenable. « La solidité accrue de la BEAC rassure les marchés et ouvre un espace financier pour nos investissements prioritaires, notamment dans les infrastructures de transport et la transition énergétique », souligne un conseiller du ministère congolais de l’Économie. Dans le même temps, les experts à Libreville ou N’Djamena tablent sur une amélioration de la liquidité bancaire, susceptible de dynamiser les petites et moyennes entreprises locales.
Regards croisés sur la gouvernance monétaire future
Historiquement, la BEAC n’avait connu que huit augmentations de capital en un demi-siècle, la dernière remontant à 2023. La cadence s’accélère désormais, signe que la région prend la mesure des défis à venir : intégration financière, diversification économique et anticipation des risques climatiques. L’institut d’émission continue toutefois d’afficher une prudence méthodique – le taux directeur reste arrimé à 4 %, tandis que la politique de réserves obligatoires est calibrée pour préserver un coussin de change autour de 75 % des besoins d’importation.
Sur le plan diplomatique, cette évolution conforte la position de la CEMAC dans le concert africain, à l’heure où se multiplient les débats sur les monnaies régionales. Aucun État membre ne remet en cause l’arrimage à l’euro, perçu comme un filet de sécurité dans un environnement financier encore heurté. La BEAC, forte de ses nouveaux moyens, ambitionne désormais d’intensifier la surveillance macro-prudentielle pour prévenir d’éventuels déséquilibres. « Notre priorité est de préserver la confiance. Le capital rehaussé nous offre un levier supplémentaire, mais nous resterons fidèles à notre mandat de stabilité », assure Yvon Sana Bangui. Le signal est clair : la banque centrale entend conjuguer prudence et innovation, pour inscrire durablement la CEMAC, et le Congo-Brazzaville en particulier, sur la carte des zones monétaires les plus crédibles du continent.