Un continent énergétiquement contrasté
À la tombée de la nuit, les mégalopoles côtières d’Afrique scintillent tandis que des villages de l’arrière-pays demeurent plongés dans l’obscurité. Cette disparité énergétique résume le défi majeur du continent : apporter une électricité fiable à plus de 600 millions de personnes.
La Banque africaine de développement estime qu’il faudrait connecter 90 millions de nouveaux usagers par an, soit trois fois le rythme actuel, pour atteindre l’accès universel d’ici 2030, un horizon clé pour l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Cependant, le défi ne concerne pas seulement la capacité installée ; il englobe la fiabilité des réseaux, la gouvernance tarifaire et la diversification technologique, autant de paramètres qui façonnent les priorités diplomatiques régionales.
Les réseaux sous tension, enjeu diplomatique
En Afrique australe, l’opérateur sud-africain Eskom génère encore un tiers de l’électricité continentale, mais ses centrales à charbon vieillissantes provoquent de coûteux délestages qui affectent l’ensemble de la Southern African Power Pool, démontrant la nature transfrontalière du problème.
De Nairobi à Abidjan, les chefs d’État plaident pour des interconnexions plus robustes afin de mutualiser les excédents, stabiliser les prix et attirer des industries à forte intensité énergétique, essentielles à la création d’emplois qualifiés.
Les bailleurs internationaux conditionnent désormais leurs prêts à la modernisation des lignes de transport, rappelant que les pertes techniques en Afrique avoisinent 20 %, contre 5 % dans l’OCDE, un écart difficilement compatible avec les objectifs climatiques.
Financer la transition, rôle clé des investisseurs
Selon l’Agence internationale de l’énergie, il faudrait mobiliser 64 milliards de dollars chaque année pour l’accès universel. Or les flux financiers se heurtent aux risques souverains, à la convertibilité limitée des devises et à l’absence de cadres réglementaires stables.
Les investisseurs privés réclament des tarifs reflétant les coûts réels, tout en reconnaissant la nécessité de protéger les ménages vulnérables. Plusieurs gouvernements testent des subventions ciblées via le numérique afin de concilier banque et justice sociale.
La diplomatie climatique, notamment autour du Fonds vert, encourage des partenariats triangulaires réunissant États africains, bailleurs européens et banques de développement asiatiques, à l’image du Just Energy Transition Partnership noué par l’Afrique du Sud, considéré comme un prototype régional.
Renouvelables : atout solaire et hydraulique
Avec plus de 300 jours d’ensoleillement annuel dans de nombreuses zones, le photovoltaïque apparaît comme la solution la plus rapide pour électrifier les localités éloignées. En 2023, l’Afrique a importé près de 15 millions de panneaux solaires, un record historique.
Les mini-réseaux hybrides, associant batteries, solaire et parfois biomasse, alimentent déjà des hôpitaux ruraux en Sierra Leone ou des écoles au Mali, montrant qu’une approche décentralisée complète les grands barrages hydroélectriques d’Inga, de Kariba ou de Bujagali.
Le potentiel hydraulique reste colossal : seulement 11 % est exploité. Toutefois, les variations climatiques imposent de coupler turbines et stockage afin de garantir la continuité du service, condition sine qua non pour l’industrialisation.
Nucléaire et mix énergétique, la prudence s’impose
Face aux limites des renouvelables intermittents, plusieurs États envisagent le nucléaire civil. L’Ouganda a acté un projet de 2 000 MW d’ici 2031, tandis que le Kenya discute d’un réacteur de recherche pouvant évoluer vers la production commerciale.
Les experts rappellent néanmoins que la filière requiert stabilité politique, compétences pointues et financements patientes. « Le coût du capital peut doubler le prix final du kilowatt-heure », alerte Hartmut Winkler, physicien à l’Université de Johannesburg et conseiller auprès de l’AIEA.
La question géopolitique s’invite aussi : la Russie détient des accords nucléaires avec dix-huit pays africains, renforçant son influence stratégique alors que les puissances occidentales mettent davantage l’accent sur l’hydrogène vert et le stockage par batteries.
Congo-Brazzaville : un cas d’équilibre stratégique
Situé au cœur du bassin du Congo, le pays a fait le pari d’un mix où l’hydraulique couvre déjà 70 % de la production, complété par des turbines à gaz alimentées par les champs off-shore de la mer du Golfe de Guinée.
Le président Denis Sassou Nguesso a récemment inauguré le barrage de Liouesso et relancé le projet de Sounda, tout en promouvant des mini-centrales solaires dans la Cuvette et les Plateaux, illustrant une approche combinant grands ouvrages et solutions hors-réseau.
Cette stratégie est saluée par l’Agence de coopération japonaise, qui souligne la stabilité réglementaire congolaise et la clarté des objectifs climatiques nationaux, deux facteurs jugés déterminants pour la bancabilité des projets.
Vers une coopération gagnant-gagnant
La prochaine Conférence sur le financement de l’énergie, prévue à Brazzaville, offrira une plate-forme pour harmoniser normes techniques, garanties de paiement et mécanismes carbone, dans le but de réduire les coûts et d’élargir l’accès à la classe moyenne africaine.
Si les financements suivent, l’Afrique pourrait devenir un laboratoire mondial, testant simultanément électrification massive, décarbonation et intégration régionale. Une réussite accélérerait non seulement l’industrialisation mais renforcerait la souveraineté énergétique du continent à l’horizon 2040.
Les partenaires bilatéraux voient également dans l’électrification un moyen de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement en minerais stratégiques, notamment cobalt, cuivre et lithium, conditionnant parfois leurs prêts à des clauses de local content favorables aux talents africains.
