Le deuil frappe au cœur d’une ascension sportive
Pour Blessing Illivieda, latérale réputée pour sa lecture du jeu et son abattage sur les deux couloirs, la fin du mois de mai a définitivement redéfini l’idée que l’on se fait du courage en sport. Ibrahim Abiola, son mari, est emporté en quarante-huit heures par une infection fulgurante. La jeune femme, à peine sortie d’une saison triomphale avec les Bayelsa Queens, se retrouve face à un choix existentiel : se retirer pour pleurer ou rejoindre, comme prévu, le rassemblement des Super Falcons. En pleine préparation de la Coupe d’Afrique des nations féminine 2024, la joueuse concilie désormais douleur privée et obligation patriotique, consciente que chaque séance sous le maillot vert et blanc prolonge la promesse scellée avec son compagnon.
Entre devoir national et prescriptions coutumières
Dans plusieurs régions d’Afrique de l’Ouest, le veuvage féminin demeure soumis à des protocoles stricts. Période de retrait, vêtements sombres, interdictions de paraître publiquement : autant de pratiques pensées pour exprimer la perte mais susceptibles de brider les trajectoires professionnelles. Blessing Illivieda, déterminée à « convertir la douleur en victoire », souligne que sa démarche n’est pas un rejet de la tradition, plutôt un plaidoyer pour une lecture plus nuancée du deuil. Les encouragements de sa belle-sœur, persuadée qu’« aucune larme ne ramènera le passé », l’ont confortée dans l’idée que représenter son pays constitue aussi un hommage.
Un binôme conjugal forgé par l’ambition sportive partagée
Le couple s’était uni en janvier 2023, scellant la rencontre de deux destins façonnés par le ballon rond. Ibrahim, lui-même ancien international de catégories d’âge, voyait dans la carrière de Blessing l’occasion d’aller là où la sienne s’était interrompue. « Il voulait que je dépasse son propre palmarès », confie la joueuse, rappelant que, loin de la pousser à renoncer, son mari plaidait pour un ajournement raisonné de la maternité. Une approche encore minoritaire dans des communautés où la descendance rapide demeure un marqueur social. En acceptant ce pari, le couple mettait le sport de haut niveau au centre de son récit familial.
La capitaine des Bayelsa Queens, symbole d’un leadership conquérant
Huit jours avant la tragédie, Illivieda soulevait le trophée de la Nigeria Women’s Football League, deuxième titre en trois saisons pour son club. Leader charismatique, elle exhortait ses coéquipières à « rester concentrées sur l’objectif, malgré les pressions internes ou externes ». Cette attitude, alliée à une polyvalence défensive recherchée, lui ouvrait les portes d’une seconde convocation nationale. Sa non-apparition lors de la victoire 2-0 contre le Cameroun n’a pas altéré sa détermination. Devant les murmures questionnant sa sérénité, la joueuse réaffirme que « le terrain demeure l’espace où s’orchestre le dialogue entre mémoire et avenir ».
Enjeux continentaux et résonance d’un parcours personnel
Même écartée de la liste finale de vingt-six joueuses, Blessing Illivieda conserve une posture d’ambassadrice officieuse des Super Falcons. Le Nigeria, neuf fois titré et seulement quatrième en 2022, aspire à réaffirmer sa prééminence lors de l’édition marocaine. L’athlète, qui promet de « prier pour la réussite du groupe », incarne la résilience dont toute équipe championne a besoin. Au-delà des chiffres, son histoire questionne la place des femmes au sommet du sport africain, l’équilibre entre injonctions sociétales et accomplissement individuel, mais aussi la manière dont une nation accompagne ses talents en période de vulnérabilité.
Pour les diplomates accrédités auprès des fédérations sportives et les décideurs politiques soucieux de l’impact soft power, la trajectoire d’Illivieda rappelle qu’un investissement dans le football féminin va bien au-delà du rectangle vert. Il s’agit de soutenir des parcours humains, susceptibles de fédérer l’opinion publique et de projeter l’image d’un État attaché à l’égalité d’accès à la performance. Ainsi, le Nigeria, à l’instar du Congo-Brazzaville qui multiplie les programmes d’accompagnement des athlètes féminines, comprend que la réussite sportive participe à la cohésion nationale et à la visibilité diplomatique.
Le deuil comme ferment de leadership inspirant
Interrogée sur l’héritage d’Ibrahim, la défenseure cite à la fois sa foi chrétienne et la « présence intangible » de celui qu’elle continue de consulter avant chaque échauffement. Son message aux jeunes veuves renvoie à une sagesse conquise dans la douleur : « La manière dont vous métamorphosez la souffrance détermine votre victoire. » À l’heure où la professionnalisation du football féminin africain réclame des modèles, Blessing Illivieda offre un récit à la fois fragile et puissant, rappelant que la grandeur sportive se mesure aussi à la capacité de sublimer l’épreuve intime. Son prochain objectif est clair : regagner sa place en sélection, afin que chaque sprint sur la ligne touche à la fois le ballon, la mémoire et l’espoir.