Vers une filière bois circulaire
À Brazzaville, les travées lumineuses du Salon des métiers du bois 2023 ont rappelé que l’abattage d’un arbre n’est plus la fin d’un cycle, mais le début d’une chaîne de valeur appelée, au Congo-Brazzaville, à tendre vers le zéro déchet.
Piloté par la ministre de l’Industrie et de l’Économie forestière, Rosalie Matondo, l’événement a fourni une vitrine où décideurs, artisans et investisseurs ont échangé sur la mutation d’un secteur longtemps dominé par l’exportation de grumes vers une économie circulaire fondée sur la transformation locale.
Une stratégie industrielle verte
Le gouvernement y défend une stratégie industrielle verte, alignée sur le Plan national de développement 2022-2026, qui fonde la diversification économique sur les ressources renouvelables, l’innovation technologique et l’intégration régionale, dans le sillage de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Les autorités visent à réduire de moitié l’exportation de troncs non transformés d’ici 2025, tout en faisant passer la part des produits à forte valeur ajoutée, comme le contreplaqué ou le mobilier design, de 25 % à 60 % du volume expédié.
Jeunesse et inclusion féminine
La ministre Rosalie Matondo insiste sur la jeunesse et les femmes, décrivant un « corps social créatif à l’énergie inépuisable ». Dans les allées du salon, les stands dirigés par des sculptrices ou par de jeunes menuisiers formés au lycée technique de Ouenzé témoignent d’un savoir-faire modernisé.
Jacqueline Lydia Mikolo, ministre des PME, rappelle que 85 % des unités de la filière sont des microentreprises familiales; leur professionnalisation passe par l’accès au crédit, la formation à la conception assistée par ordinateur et l’obtention de labels écologiques exigés par les marchés européens.
Défis logistiques et réponses étatiques
Le passage au zéro déchet suppose une logistique efficiente: récupération des sciures, conversion des écorces en biomasse, et déploiement de petites unités de cogénération. Les industriels évoquent toutefois le coût élevé de l’énergie et le défi du transport fluvial pendant la saison des pluies.
Face à ces contraintes, le ministère de l’Énergie a programmé l’extension de la centrale hydroélectrique de Liouesso, tandis que l’Agence congolaise d’électrification rurale subventionne les raccordements des scieries situées dans la Cuvette-Ouest afin de stabiliser leur approvisionnement.
Partenariats internationaux émergents
Brasilia, Bruxelles et Pékin multiplient les protocoles d’accord avec Brazzaville. La société d’ingénierie brésilienne Suzano propose une usine pilote de panneaux de fibres, tandis que l’Union européenne finance un programme de 10 millions d’euros pour la certification durable des essences locales.
L’Organisation internationale des bois tropicaux note déjà une progression de 12 % des investissements étrangers dans le segment congolais depuis 2021, un des meilleurs taux d’Afrique centrale, signe que l’option zéro déchet renforce la crédibilité environnementale du pays.
Retombées socio-économiques attendues
La Banque mondiale estime que chaque million de mètres cubes transformés localement génère 3 500 emplois directs et 10 000 indirects. À terme, la valeur ajoutée annuelle pourrait atteindre un milliard de dollars, soit l’équivalent de 7 % du PIB national actuel.
Pour les diplomates présents, l’exemple congolais illustre une tendance continentale où la protection des forêts rejoint la création d’emplois. « Le Congo prouve que la durabilité peut être rentable », a déclaré un conseiller économique de l’ambassade d’Allemagne, saluant la convergence entre écologie et compétitivité.
Gouvernance forestière et traçabilité
Le succès du virage dépend aussi d’une gouvernance forestière robuste. Depuis janvier, l’Agence nationale d’inventaire et d’aménagement des forêts teste un système numérique de traçabilité des billes, basé sur des codes QR, afin de prévenir l’exploitation illégale et de rassurer les acheteurs européens.
En parallèle, la Commission nationale anti-corruption multiplie les audits des concessions. Les entreprises en conformité peuvent bénéficier d’avantages douaniers et d’un label « Made in Congo » promu lors des foires internationales, incitant le secteur privé à renforcer ses mécanismes internes de contrôle.
Impact climatique et engagement international
Sur le plan climatique, la valorisation totale du bois réduit la déforestation en augmentant le rendement par hectare et la durée des rotations. Le pays soutient par ailleurs l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale, qui rémunère les États maintenant leur couvert arboré.
Le ministère des Affaires étrangères souligne que cette trajectoire renforce la voix de Brazzaville dans les forums multilatéraux, du Partenariat pour les forêts du Bassin du Congo à la COP28, où la diplomatie climatique devient un levier supplémentaire de financement et de coopération technique.
Perspectives et calendrier
Plusieurs jalons balisent déjà le calendrier. La prochaine révision du Code forestier, attendue au premier semestre 2024, devrait intégrer le principe de zéro rebut. Un fonds d’investissement dédié aux produits biosourcés sera lancé avec l’appui de la Banque africaine de développement.
Les acteurs de la filière s’accordent à dire que la transition sera progressive, mais irréversible. En adoptant une approche holistique, le Congo-Brazzaville pourrait, dans les cinq prochaines années, se positionner comme laboratoire africain d’une économie forestière circulaire, conciliant prospérité, inclusion et préservation des écosystèmes.
