Une salle obscure pour éclairer la mémoire
Dans l’enceinte feutrée de l’Institut français de Brazzaville, transformée pour l’occasion en salon diplomatique, l’ambassade de la République bolivarienne du Venezuela a proposé aux cinéphiles congolais un voyage au cœur des turbulences latino-américaines. En programmant « Bolívar, l’homme des difficultés », la mission diplomatique commémorait le 214ᵉ anniversaire de la Déclaration d’indépendance du 5 juillet 1811, tout en déroulant le tapis rouge à une communauté d’intellectuels, d’étudiants et d’artistes avides de nouveaux récits. L’initiative inscrit la capitale congolaise dans le calendrier du « Juillet patriotique » lancé par Caracas à travers le monde afin de resserrer les liens entre peuples du Sud.
Le 5 juillet 1811, fer de lance narratif
Avant que les lumières ne s’éteignent, l’ambassadrice Laura Evangelia Suárez a rappelé la portée symbolique de deux dates phares : le 5 juillet 1811, acte de naissance d’une république libérée de la tutelle espagnole, et le 24 juin 1821, bataille de Carabobo décisive pour l’émancipation continentale. Le film, fresque historique dense, suit Simón Bolívar depuis les salons de Caracas jusqu’aux plaines andines, révélant la stratégie militaire mais surtout l’ingénierie politique du Libertador. L’esthétique, empreinte d’un réalisme cru, donne chair aux difficultés logistiques, aux rivalités régionales et aux compromis diplomatiques qui jalonnèrent le processus de création étatique.
La diplomatie culturelle vénézuélienne à Brazzaville
En inscrivant le septième art au cœur de sa communication, l’ambassade entend élargir le dialogue bilatéral au-delà des dossiers énergétiques ou multilatéraux traités dans les chancelleries. Selon un conseiller culturel présent dans la salle, « le cinéma offre une porte d’entrée sensible aux valeurs de liberté et de souveraineté que partagent Caracas et Brazzaville ». Loin d’une vitrine idéologique figée, la séance a permis un échange direct entre diplomates, universitaires et journalistes congolais autour des défis contemporains que pose toute construction nationale : cohésion interne, diversification économique et souveraineté décisionnelle dans un monde multipolaire.
Échos congolais : regard croisé des créateurs
Premier spectateur à réagir, le doyen du cinéma congolais Sébastien Kamba a salué « une reconstitution d’une rigueur remarquable, capable d’inspirer la jeune garde brazzavilloise en quête de références visuelles africaines et latino-américaines ». Les plumes de l’Association congolaise d’amitié entre les peuples ont, de leur côté, souligné la dimension pédagogique de l’œuvre : raconter les Amériques libératrices, c’est aussi rappeler les solidarités africaines dans la diaspora de l’époque. À l’issue de la projection, un débat spontané s’est noué sur l’usage stratégique de l’imprimerie par Bolívar, innovation technologique mise au service d’un soft power avant l’heure.
Femmes, imprimerie et modernité d’un combat
L’écrivaine bénino-congolaise Carmen Fifamè Toudounou a insisté sur « la centralité des figures féminines, longtemps occultées dans les tableaux militaires classiques ». Le film met effectivement en lumière Manuela Sáenz, indispensable relais politique et logistique, rappelant que la libération fut aussi une affaire de réseaux sociaux avant la lettre : correspondances cryptées, journaux de tranchées et réunions littéraires ont tissé une diplomatie parallèle où les femmes jouaient les courroies de transmission. Cette lecture résonne particulièrement dans un Congo engagé dans la valorisation du rôle des femmes dans la consolidation de la paix et la gouvernance.
Entre résistances contemporaines et partenariat Sud-Sud
Au-delà de l’exercice mémoriel, la projection engage une réflexion sur la souveraineté actuelle des nations du Sud face aux tensions géo-économiques. Pour l’ambassadrice Suárez, le Venezuela continue « sa lutte pacifique pour le droit d’exister en tant que nation indépendante », tandis que le Congo, attaché à une diplomatie d’équilibre, multiplie les passerelles avec des partenaires hétérogènes afin de défendre un multilatéralisme inclusif. Dans ce contexte, la culture devient vecteur de légitimation : le récit bolivarien, projeté à Brazzaville, rappelle que l’indépendance n’est pas un acquis mais un processus à sans cesse réévaluer, nourri par le dialogue des mémoires et la coopération Sud-Sud.
