Bras de velours diplomatique à Brazzaville
En recevant, le 4 juillet à Brazzaville, les lettres de rappel de l’ambassadeur Eugene Young, le président Denis Sassou Nguesso a tourné une page de la relation bilatérale qu’ils avaient ouverte ensemble en 2021. Au-delà du cérémonial immuable des adieux, la rencontre a surtout offert l’occasion d’un dernier échange stratégique. Les deux parties y ont salué une conjoncture jugée « excellente » par plusieurs observateurs diplomatiques, à l’heure où Washington consolide ses partenariats africains et où Brazzaville, forte de sa stabilité politique, diversifie ses alliances pour accompagner sa vision 2025.
Trois ans de pragmatisme coopératif
Le mandat d’Eugene Young aura été marqué par un pragmatisme assumé. D’emblée, l’ancien ambassadeur a privilégié les projets à impact direct sur les populations, notamment l’assistance humanitaire aux déplacés internes provoqués par les inondations récurrentes du bassin du Congo. L’Agence américaine pour le développement international a mobilisé des financements évalués à 32 millions de dollars en trois ans, un montant salué par les autorités congolaises comme « un geste tangible de solidarité ».
Sur le plan sécuritaire, la coopération militaire a progressé dans un cadre sobre, axé sur la formation de contingents dédiés aux opérations de maintien de la paix régionales et sur le partage de renseignements liés à la lutte contre la piraterie dans le golfe de Guinée. Le Département d’État s’est félicité, dans un mémorandum rendu public en mai 2023, des « avancées mesurables dans la professionnalisation des forces » congolaises, tout en soulignant la nécessité de poursuivre les programmes de gouvernance du secteur.
La relance discrète du climat des affaires
Sous l’impulsion de l’ambassadeur sortant, un dialogue structuré avec le ministère congolais de l’Économie a été lancé pour améliorer l’environnement des investissements. Les sessions mensuelles du « Business Roundtable » américano-congolais ont permis de clarifier la fiscalité applicable aux sociétés étrangères, de discuter de la modernisation du droit des sociétés commerciales et d’accompagner la digitalisation des guichets administratifs.
Ces efforts ont contribué à la progression de deux places dans l’indice Africa CEO Survey 2023, un résultat certes modeste mais symbolique pour un pays qui cherche à diversifier son économie au-delà des hydrocarbures. Plusieurs firmes américaines, parmi lesquelles un consortium actif dans les énergies renouvelables, ont manifesté leur intérêt pour le corridor solaire Pointe-Noire–Dolisie, présenté comme un incubateur de la transition verte congolaise.
Paix régionale et sécurité partagée
Le chef de l’État congolais a salué la contribution de l’ambassadeur Young à la diplomatie préventive en Afrique centrale. Brazzaville a accueilli, en décembre 2022, une session extraordinaire du Conseil de paix et de sécurité de la CEEAC, co-facilitée par les États-Unis, pour évoquer la situation à l’est de la RDC. Selon un haut fonctionnaire congolais, cette réunion a « consolidé la position du Congo comme médiateur impartial » tout en offrant à Washington « un canal complémentaire » à ses efforts multilatéraux.
Sur le dossier sensible des migrations irrégulières, Washington et Brazzaville ont coordonné des initiatives de sensibilisation dans les principales villes du sud du pays. L’approche a été jugée constructive par les deux parties, car elle combine surveillances frontalières renforcées et création d’opportunités socio-économiques locales, afin de réduire les facteurs de départ.
Une transition sans rupture
Avant de quitter Brazzaville, Eugene Young a confié à la presse son « admiration pour la résilience et l’hospitalité des Congolais », tout en exprimant le vœu d’« une société et une économie toujours plus ouvertes ». La formulation, à la fois diplomatique et amicale, reflète la ligne d’équilibre qu’il a maintenue durant son passage, reconnaissant les avancées nationales tout en soulignant les chantiers à poursuivre.
Le département d’État, déjà engagé dans la procédure de confirmation de son successeur, assure que la continuité sera la règle. Côté congolais, le ministère des Affaires étrangères a indiqué que la feuille de route conjointe 2024-2027, actuellement en discussion, devrait mettre l’accent sur la diversification économique, la protection des forêts du massif du Congo et la montée en gamme des infrastructures de santé publique.
Au-delà des échanges protocolaires, ces adieux confirment la maturité d’une relation bilatérale qui a su, ces dernières années, dépasser la simple assistance pour se structurer autour d’intérêts réciproques clairement identifiés. Alors que Brazzaville s’apprête à célébrer l’an prochain le cinquantième anniversaire de ses relations diplomatiques avec Washington, le départ d’Eugene Young apparaît moins comme une fin que comme un relais. Le diplomate laisse en héritage un dialogue régulier, des partenariats sectoriels densifiés et une confiance mutuelle appelée à se consolider sous l’égide des deux capitales.