Pressions inflationnistes et réponse congolaise
The flambée mondiale des cours des céréales et du fret a porté l’inflation congolaise à 5,6 % en glissement annuel selon la Banque centrale, un niveau inédit depuis une décennie. Brazzaville cherche ainsi à sanctuariser le pouvoir d’achat urbain et la paix sociale, éléments stratégiques pour la stabilité nationale.
Alors que plusieurs voisins recourent à des subventions massives, le gouvernement du président Denis Sassou Nguesso privilégie une architecture plus pérenne : la Centrale d’Approvisionnement Congolaise, CEAC, outil public chargé de mutualiser les commandes alimentaires et pharmaceutiques afin de réduire les coûts logistiques et douaniers à moyen comme long terme durablement.
Naissance stratégique de la CEAC
Conçu dès l’automne 2024, le projet CEAC a bénéficié d’un diagnostic conjoint du Programme alimentaire mondial et de la CEEAC. Les experts ont identifié des surcoûts dépassant 30 % entre le port de Pointe-Noire et les rayons de Brazzaville, dus à la fragmentation des achats et aux marges d’intermédiaires excessives.
La présidence a validé la feuille de route en février 2025, confiant la tutelle technique au ministère du Commerce et celle financière au Trésor. « La CEAC répond à un impératif de souveraineté d’approvisionnement », assure Gilbert Ondongo, ministre d’État, qui évoque une stratégie « basée sur la masse critique » pour le pays.
Dotée d’un capital initial de 60 milliards de francs CFA, la centrale peut lever des lignes de crédit auprès d’Eximbank China et de la BOAD. Cette flexibilité permet d’assurer des achats au comptant dès les récoltes, avantage apprécié par les traders qui consentent des rabais significatifs sur volumes sécurisés annuels.
Fonctionnement logistique et technologique
Concrètement, la CEAC négocie les contrats-cadres, affrète les navires, puis répartit les cargaisons vers des dépôts régionaux numérisés. Les coopératives, supermarchés et pharmacies s’enregistrent sur une plateforme blockchain, règle les factures par mobile-money et bénéficient d’une remise plafonnée à 15 %, stimulant la transparence et la traçabilité des flux.
Un mécanisme d’alerte précoce, développé avec l’Organisation mondiale des Douanes, croise les données portuaires et les indices FAO pour déclencher des achats supplémentaires avant toute tension. Cette proactivité devrait lisser la saisonnalité qui pèse traditionnellement sur les populations enclavées du Plateau batéké ou de la Likouala chaque année.
Pour éviter un monopole public, Brazzaville a inséré une clause de revue bisannuelle dans l’ordonnance créant la CEAC. Les importateurs privés pourront conserver 40 % du marché, à condition de publier leurs prix départ-bateau, un compromis salué par la Chambre de commerce française à Pointe-Noire dès sa promulgation officielle.
Impact macroéconomique et social attendu
Le Fonds monétaire international, lors de sa revue d’avril 2025, anticipe un recul de l’inflation congolaise à 3,1 % en 2026 si la centrale tient son calendrier. L’institution met toutefois en garde contre une éventuelle dérive budgétaire si les flux de subventions n’étaient pas strictement plafonnés par ordonnance complémentaire gouvernementale.
Les économistes de la faculté Marien-Ngouabi soulignent que la CEAC pourrait aussi améliorer la balance des paiements, les achats groupés étant majoritairement libellés en yuans. Une moindre utilisation du dollar atténuerait la vulnérabilité du franc CFA face aux fluctuations de la Fed, argument repris par les banquiers locaux.
Sur le terrain social, l’Association nationale des consommateurs attend une baisse de 70 FCFA sur le prix du pain d’ici décembre. « Nous suivrons la répercussion des remises en rayons », déclare sa présidente Nicole Okandzi, qui voit dans la transparence numérique un outil pour renforcer la confiance citoyenne à moyen terme.
Du côté des détaillants, certains expriment des réserves. Ils redoutent que les volumes imposés soient trop élevés pour leurs petites capacités de stockage. Le ministère répond en développant des entrepôts relais dans les districts ruraux, financés par l’AFD et gérés par des coopératives agricoles locales sous régime public-privé.
Regards des partenaires internationaux
Les partenaires traditionnels observent la démarche avec intérêt. L’Union européenne propose une assistance technique pour l’alignement des standards phytosanitaires, condition essentielle à l’export éventuel des surplus vers la Centrafrique. Washington, lui, rappelle l’importance de garder un marché ouvert afin de ne pas dissuader l’investissement privé déjà en place.
Pekin soutient ouvertement la CEAC, considérant le corridor ferroviaire Pointe-Noire-Brazzaville comme un axe clé de son initiative « la Ceinture et la Route ». Un protocole d’échanges préférentiels sur le riz et les engrais verts a été parafé en mai 2025, renforçant l’interdépendance bilatérale selon le ministère des Affaires étrangères congolais.
Scénario prospectif pour la sous-région
À court terme, l’exécutif table sur une économie de 45 milliards CFA pour le budget des ménages urbains. Cette manne, espère la Primature, pourrait se réorienter vers l’éducation privée et la santé, secteurs moteurs de la classe moyenne naissante que Brazzaville présente souvent comme levier de paix durable et prospérité.
À plus long terme, la CEAC pourrait servir de prototype régional. La CEEAC envisage déjà une plateforme d’achats partagés pour les vaccins. Si l’expérience congolaise confirme ses promesses, Brazzaville se positionnera comme un laboratoire d’intégration économique, cohérent avec la vision de Denis Sassou Nguesso d’une Afrique centrale plus résiliente demain.
