Un retour discret mis en scène dans la capitale congolaise
Arrivé en toute discrétion à l’aéroport Maya-Maya, Bertin Béa n’a pas cherché les flashes des photographes. Celui qui fut vice-président du parti Kwa na Kwa et éminence grise de l’ancien chef d’État centrafricain François Bozizé mise sur la sobriété pour préparer, depuis Brazzaville, son grand retour sur la scène politique de Bangui. Après plusieurs années d’exil en région parisienne, l’ex-conseiller revient à deux heures de vol de la capitale centrafricaine, choix géographique logique pour un homme qui souhaite « sentir le terrain sans encore s’y brûler », confie l’un de ses proches. Dans les jardins ombragés des hôtels du quartier Poto-Poto, il multiplie les entretiens informels avec des banquiers, des opérateurs économiques et d’anciens camarades de lutte, esquissant la première étape d’une stratégie de réinsertion politique et financière.
La tradition congolaise de la médiation régionale
Le fait que l’ancien ministre centrafricain ait choisi Brazzaville ne relève pas du hasard. Sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, la République du Congo cultive depuis deux décennies la réputation de point de rencontre neutre pour les protagonistes des crises d’Afrique centrale. Du Forum intercongolais de Sun City à la facilitation du dialogue centrafricain en 2014, la diplomatie congolaise a fait de la confidentialité une méthode et de l’hospitalité une marque de fabrique. « Brazzaville reste l’une des rares capitales où l’on peut parler à tous sans heurter personne », souligne un diplomate de la CEEAC rencontré dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères. Cette tradition d’entremise offre à des personnalités exilées un cadre rassurant, loin des tensions immédiates, tout en permettant aux autorités congolaises de maintenir ouvertes des lignes de communication avec les divers acteurs centrafricains.
La scène politique centrafricaine à l’aune des exils et des retours
Depuis la chute de François Bozizé en 2013, la Centrafrique navigue entre transitions, accords de paix successifs et recompositions partisanes. Le retour, avorté ou réussi, d’anciens dignitaires jalonne désormais la vie politique banguissoise. L’hypothèse d’une élection présidentielle en 2025 attise les ambitions ; chacun cherche à sécuriser des financements et des alliances. Bertin Béa entend capitaliser sur son expérience passée tout en se démarquant du passé militaro-politique de son mentor. Il caresse l’idée d’un discours axé sur la « réconciliation économique », persuadé que le tropisme sécuritaire qui domine à Bangui laisse un espace aux entrepreneurs politiques capables de mobiliser la diaspora commerçante et les investisseurs sous-régionaux.
Réseaux financiers et diasporiques, un passage obligé
Reconverti quelques années dans le conseil en levée de fonds auprès d’entreprises africaines basées à Paris, Béa sait que le nerf de la guerre reste l’argent. Brazzaville lui offre un terreau propice : une communauté centrafricaine dynamique, des établissements bancaires à capitaux mixtes et un circuit informel de transferts qui irrigue Bangui via la Sangha et l’Oubangui. À la terrasse d’un café sur l’avenue Foch, un opérateur congolais qui dit financer « les deux rives » note que « le climat d’affaires au Congo est assez stable pour qu’on y collecte, avant de réinjecter à Bangui, où le risque reste élevé ». En parallèle, l’entourage de Béa sollicite des contributeurs issus de la diaspora centrafricaine gabonaise et camerounaise, promettant une participation aux grands chantiers de reconstruction annoncés par le gouvernement de Faustin-Archange Touadéra.
Les intérêts congolais dans la stabilité sous-régionale
Si le pouvoir brazzavillois observe avec bienveillance la présence de Béa, c’est qu’une Centrafrique pacifiée demeure dans l’intérêt direct de la République du Congo. Tout regain de tension à Bangui se répercute immédiatement par des flux de déplacés qui empruntent le couloir fluvial Oubangui-Congo, pesant sur les infrastructures frontalières congolaises. En offrant un havre de négociation aux différents acteurs centrafricains, Brazzaville consolide sa stature de médiateur crédible et protège ses propres priorités sécuritaires, notamment la sécurisation du corridor Pointe-Noire-Bangui, vital pour l’exportation des bois d’œuvre et le transit des produits pétroliers. L’entourage présidentiel congolais, tout en préservant une neutralité de façade, se félicite ainsi de voir émerger des leaders centrafricains susceptibles de privilégier la voie diplomatique aux aventures militaires.
Perspectives et scénarios pour les mois à venir
Selon plusieurs analystes, Bertin Béa pourrait tenter un premier déplacement public à Bangui avant la fin de l’année, à condition qu’un accord tacite soit trouvé avec les autorités centrafricaines. Sa marge de manœuvre dépendra de sa capacité à lever des fonds, mais aussi d’un engagement à participer au processus de réconciliation nationale chapeauté par l’Union africaine. « Revenir, c’est simple ; s’ancrer sans rallumer les braises du passé, c’est autrement plus délicat », observe un chercheur de l’IFRI. En attendant, l’ancien vice-président du Kwa na Kwa soigne son réseau, confiant à son cercle restreint vouloir se poser en « passeur » entre la diaspora et les institutions de Bangui. Brazzaville, de son côté, consolide son rôle d’amphithéâtre diplomatique, prolongeant ainsi une tradition d’entremise qui, loin de s’éroder, semble fascinante d’actualité au regard des recompositions politiques régionales.