Ce qu’il faut retenir
La célébration du 67ᵉ anniversaire de la République du Congo ouvre un débat sur la reconnaissance publique de ses chefs d’État, tous régimes confondus. Des voix, inspirées par l’exemple angolais, proposent la création d’un Boulevard ou d’une Place des Présidents à Brazzaville.
Le président angolais João Lourenço a décoré, à titre posthume, ses prédécesseurs Agostinho Neto et Eduardo dos Santos, ainsi que l’ex-chef rebelle Jonas Savimbi. Geste de pardon et de cohésion, l’initiative intrigue les décideurs congolais soucieux de renforcer l’unité nationale.
L’Angola, laboratoire de réconciliation
En 2025, Luanda a réuni, sous une même bannière commémorative, héros de l’indépendance et anciens adversaires, faisant primer l’histoire collective sur les clivages. « Pardonner est plus noble que se venger », a martelé João Lourenço dans son allocution.
Cette politique mémorielle s’accompagne d’amnisties ciblées et de programmes socio-économiques dans les provinces jadis touchées par le conflit. L’effet symbolique reste fort : la capitale angolaise a vu ses boulevards se parer de noms fédérateurs, tout en dynamisant son attractivité touristique.
Les diplomates rappellent le rôle déterminant joué par Brazzaville durant la guerre de libération angolaise : accueil du MPLA, soutien logistique et tribunes internationales. Le président Marien Ngouabi a été décoré pour cette solidarité transfrontalière.
Mémoire présidentielle congolaise, un patrimoine dispersé
Le Congo compte huit chefs d’État depuis 1958. Pourtant, rares sont les marques visibles de leur passage dans la capitale. Seule la tombe de Marien Ngouabi attire régulièrement chercheurs et scolaires.
Fulbert Youlou et Alphonse Massamba-Débat, acteurs du panafricanisme naissant et relais des mouvements anticoloniaux, ne disposent d’aucune stèle officielle dans les artères principales, alors que leurs maisons natales se visitent difficilement.
« Nos présidents appartiennent à toute la nation, pas à un camp », souligne l’historien Sylvain Tchikaya. Il préconise une signalétique unique, des archives numérisées et un circuit mémoriel pour concilier devoir d’inventaire et cohésion sociale.
Un Boulevard des Présidents à Brazzaville ?
L’idée d’une avenue dédiée chemine depuis les consultations nationales des années 1990. Elle ressurgit chaque fête nationale, sans matérialisation. Les partisans visent l’ancienne RN1 réaménagée, reliant l’aéroport Maya-Maya au centre-ville.
Des bustes en bronze, une frise chronologique et des espaces de médiation culturelle jalonneraient le parcours. Le président Denis Sassou-Nguesso, dont la longévité politique marque la vie institutionnelle congolaise, y figurerait aux côtés de ses pairs.
Pour l’architecte Béatrice Moussavou, « c’est d’abord un projet urbain. Il doit s’inscrire dans la modernisation du front de l’avenue des Trois-Martyrs et intégrer des équipements publics pour éviter l’effet décoratif sans usage ».
Le point juridique et économique
La loi congolaise sur le patrimoine culturel (2019) autorise la mise sous protection des monuments contemporains. Un décret présidentiel suffirait à classer la future esplanade, à condition de l’avis conforme du Conseil national du patrimoine.
Financièrement, le montage envisagé combine budget de l’État, partenariats public-privé et appuis de la CEMAC pour l’aménagement des corridors touristiques. À Luanda, un concept voisin a mobilisé six entreprises locales et deux bailleurs multilatéraux.
Les économistes évaluent un retour sur investissement en dix ans grâce aux recettes hôtelières et à l’animation événementielle. L’alignement sur la stratégie Congo Vision 2025, qui mise sur l’économie culturelle, faciliterait l’obtention de prêts concessionnels.
Scénarios et après ?
Scénario minimaliste : une place centrale rebaptisée, marquée par une stèle unitaire. Il offre un coût réduit et une exécution rapide à l’horizon 2026, année ciblée pour le soixante-huitième anniversaire de la République.
Scénario intermédiaire : un boulevard mémoriel de deux kilomètres, flanqué de jardins et d’un centre de documentation, complété par un festival annuel de l’histoire politique. Budget estimé : vingt-cinq milliards de francs CFA.
Scénario ambitieux : un Parc des Présidents englobant musée numérique, parcours pédagogique et espaces de conférence. Objectif : faire de Brazzaville une destination de tourisme civique en Afrique centrale.
Quel que soit le choix, les analystes insistent sur une concertation citoyenne inclusive : familles des anciens dirigeants, autorités locales, universitaires et société civile. L’enjeu dépasse la pierre : il touche à la mémoire partagée et au sentiment d’appartenance nationale.
