Rendements record à Brazzaville
Derrière la faculté de droit de l’Université Marien-Ngouabi, une modeste bande de 700 m² attire depuis quelques semaines les regards des décideurs agricoles. L’entrepreneur Patrick Mbemba y a enregistré 625 kilogrammes de maïs, soit un rendement projeté de près de neuf tonnes à l’hectare.
Le chiffre, validé par la société Eppavpa et observé par plusieurs ingénieurs, double pratiquement la moyenne nationale estimée par la FAO à quatre tonnes. Il démontre, selon les autorités, le potentiel inexploité des sols urbains et périurbains de la capitale congolaise.
Ce rendement spectaculaire n’est pas dû au hasard. Depuis 2021, Mbemba teste différentes variétés hybrides, dont la VN10 puis la LG 38778, combinées à un protocole de fertilisation spécifique imaginé avec des partenaires italiens afin de neutraliser l’acidité chronique des nappes latéritiques.
Un protocole de fertilisation adapté aux sols acides
Les chercheurs rappellent que 65 % des terres arables du Congo présentent un pH inférieur à 5,5, seuil critique pour le maïs. Eppavpa a donc privilégié un apport calibré de chaux dolomitique, de potasse organique et de micro-éléments pour restaurer la structure chimique.
Le protocole inclut également une irrigation goutte-à-goutte alimentée par panneaux solaires, limitant les pertes d’eau dans un contexte de variabilité climatique. « Nous n’avons pas cherché le miracle, mais l’optimisation de chaque intrant », souligne Mbemba, estimant à 30 % la réduction des coûts d’exploitation.
Selon un ingénieur du Centre national de recherche agronomique, cette démarche cadre avec la stratégie officielle de restauration des terres dégradées présentée lors du Sommet sur les trois bassins forestiers tenu à Brazzaville en octobre 2023, où l’agriculture durable fut déclarée prioritaire.
Impact sur la filière avicole nationale
Au Congo, la filière volaille consomme près de 250 000 tonnes de maïs par an, dont plus de la moitié est importée. La flambée des cours internationaux, liée à la guerre en Ukraine, a renchéri l’aliment de base et fragilisé les petits éleveurs.
« Maïs égal poulet », répète Mbemba pour illustrer la corrélation directe entre céréale et protéine animale. D’après la Fédération congolaise d’aviculture, une baisse de 10 % du prix du maïs se traduit mécaniquement par une diminution de 6 % du prix du kilogramme de blanc.
Les premiers tests grandeur nature menés dans deux fermes pilotes de Dolisie et d’Oyo témoignent déjà d’une réduction de 15 % de la facture alimentaire. Les éleveurs interrogés espèrent retrouver des marges suffisantes pour investir dans l’abattage local et réduire encore la dépendance aux importations.
Diversification économique et jeunesse congolaise
L’agriculture ne représente encore que 10 % du PIB, mais la Feuille de route 2025-2030 du gouvernement mise sur une hausse à 20 %. Pour y parvenir, Brazzaville encourage l’entrepreneuriat rural et l’accès au crédit pour les jeunes diplômés en agronomie.
Eppavpa entend capitaliser sur le succès de sa micro-parcelle pour lancer des formations mobiles. Une cinquantaine de techniciens devraient sillonner les départements d’ici fin 2024, munis de kits d’analyse de sol et de micro-crédits négociés auprès d’institutions financières soutenues par la Banque africaine de développement.
Pour la sociologue Léa Nganga, cette approche renforce la perception d’un État facilitateur. « Les jeunes voient que l’on peut réussir sans quitter le pays. Cela contribue à stabiliser les territoires et à valoriser la paix relative que connaît le Congo », analyse-t-elle.
Coopération et perspectives régionales
Les enseignements tirés de Brazzaville intéressent déjà la Commission économique pour l’Afrique centrale, qui prépare un programme régional sur les chaînes de valeur maïs-soja. Kinshasa et Libreville ont sollicité des visites croisées pour étudier la reproductibilité du protocole dans leurs zones forestières similaires.
Dans ce cadre, un mémorandum d’entente pourrait être signé en marge du prochain sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. Il viserait la mutualisation de semences certifiées, la commande groupée d’engrais et la standardisation des normes phytosanitaires pour faciliter le commerce sous-régional.
Les bailleurs internationaux observent le dossier avec intérêt. La FAO envisage de soutenir un laboratoire de semences à Mindouli, tandis que l’Union européenne étudie un mécanisme de garantie destiné aux coopératives. Les discussions devraient aboutir avant le Forum africain sur la souveraineté alimentaire de Rabat.
Une dynamique alignée sur la vision présidentielle
À plusieurs reprises, le président Denis Sassou Nguesso a rappelé que la sécurité alimentaire constitue le deuxième pilier du Plan national de développement. Les résultats d’Eppavpa s’inscrivent dans cet objectif, tout en illustrant la capacité d’innovation des acteurs privés congolais.
Reste désormais à amplifier l’initiative pour qu’elle traverse le fleuve. La petite parcelle brazzavilloise a ouvert une voie possible vers une plus grande autonomie céréalière. À entendre les techniciens, il ne manque plus qu’un maillage de centres semenciers pour consolider la dynamique.
Si l’expérience se confirme, le Congo pourrait réduire substantiellement sa facture d’importations alimentaires, estimée par la Banque mondiale à près de 600 millions de dollars chaque année. Mais, au-delà des chiffres, c’est la capacité d’innovation agricole nationale qui se trouve durablement renforcée.
