Capitale congolaise, épicentre africain de la lutte hématologique
Vingt ans après les premiers États généraux consacrés à la drépanocytose, Brazzaville s’est durablement imposée comme la boussole africaine de la prise en charge de cette maladie génétique. Le 17 juin 2025, la Fondation Congo Assistance a réuni la presse dans l’enceinte feutrée du Centre national de référence « Antoinette Sassou Nguesso ». Sous les lambris aux couleurs pastel, les Professeurs Donatien Moukassa, Alexis Elira Dokékias et Michel Mongo ont dressé un panorama clinique et diplomatique que nombre de partenaires n’hésitent plus à qualifier d’« exemple continental ». Pour le ministère congolais de la Santé, l’heure était à la consolidation d’un leadership conquis pas à pas, souvent à contre-courant des pronostics des agences internationales.
Deux décennies de diplomatie sanitaire et de résultats mesurables
Lorsque les États généraux de 2005 lancèrent l’alerte, seuls quelques milliers de patients figuraient dans les registres hospitaliers d’Afrique centrale. Vingt ans plus tard, plus de 36 000 malades sont suivis à Brazzaville, contre 8 000 en 2019, et la mortalité liée aux crises vaso-occlusives a chuté à 36 décès recensés en 2024. Ces chiffres, salués par l’Organisation mondiale de la santé, témoignent de la solidité d’un modèle reposant à parts égales sur la volonté politique et la diplomatie scientifique. « Nous avons choisi de faire de la drépanocytose une cause publique plutôt qu’une fatalité héréditaire », a rappelé le Pr Moukassa, évoquant la synergie inédite entre pouvoirs publics, société civile et mécénat.
Innovation thérapeutique et formation : l’effet d’entraînement
Le Centre Antoinette Sassou Nguesso ne se contente plus de délivrer des soins de première intention ; il se positionne désormais sur le terrain des innovations de pointe. L’introduction de la greffe de cellules souches pour les enfants disposant d’un donneur familial compatible, l’acquisition d’un système d’échange transfusionnel automatique dédié aux femmes enceintes ainsi que la recherche sur le gène S, régulièrement publiée dans des revues anglo-saxonnes, jalonnent ce chemin. En parallèle, un diplôme de spécialisation en hématologie attire des praticiens venus du Cameroun, du Nigeria ou encore du Bénin, confirmant la vocation panafricaine du site. « La science est un langage qui supprime les frontières », souligne le Pr Elira Dokékias.
Un leadership philanthropique salué par la communauté internationale
Si les avancées sanitaires se lisent dans les courbes de survie, leur moteur reste aussi humain que financier. Les intervenants ont d’une même voix reconnu l’engagement constant de Mme Antoinette Sassou Nguesso, célébrée comme « marraine mondiale de la lutte contre la drépanocytose ». Plusieurs observateurs estiment que son action, en ayant structuré un réseau de centres satellites à Libreville, Cotonou ou Yaoundé, a conféré à la lutte une dimension géopolitique. « Sans son plaidoyer auprès des chefs d’État de la sous-région, nous n’aurions pas obtenu l’exonération douanière sur les dérivés sanguins », rappelle un représentant de la Banque africaine de développement présent à la conférence.
Témoignages, insertion et espoir : la dimension humaine
Les exposés chiffrés auraient pu laisser l’auditoire dans une satisfaction distante ; ils ont été aussitôt relayés par la parole des premiers concernés. Tour à tour, un avocat, une mère de famille et un notaire ont décrit un parcours où la maladie, jadis synonyme d’exclusion scolaire, se conjugue aujourd’hui avec insertion professionnelle. « Nous n’aurions jamais imaginé voir des familles entières libérées du spectre de la mortalité infantile », confie le Pr Elira Dokékias. Le cas emblématique d’un patient de 82 ans, suivi depuis plus d’une décennie, sert de repère épidémiologique et moral : la prise en charge continue peut prolonger significativement l’espérance de vie.
Financement et gouvernance : vers un modèle durable de gratuité
La question du coût des soins reste le nœud gordien d’un dispositif appelé à s’élargir. Aujourd’hui, la consultation standard est facturée 5 000 FCFA, tarif jugé « social » par les autorités, mais encore prohibitif pour les ménages ruraux. Le débat, relancé par des parlementaires, porte sur la création d’un fonds souverain dédié, couplé à une assurance maladie universelle. Le principe d’une gratuité ciblée, fondée sur des critères de vulnérabilité, fait son chemin. « L’enjeu est de convertir un succès médical en droit fondamental », indique un conseiller du ministère des Finances, pour qui la pérennité passera par une gouvernance transparente et la diversification des partenaires.
Perspectives régionales : la science au service de l’intégration
À l’horizon 2030, les autorités congolaise projettent la création d’un diplôme universitaire interafricain et l’ouverture de l’« Unité des Mondialistes », financée par des donateurs privés pour accroître la capacité de greffes. Dans un espace où la libre circulation des compétences médicales demeure un défi, cette stratégie d’intégration sanitaire résonne avec les objectifs de l’Union africaine. « L’espoir est permis », a déclaré le directeur général du centre, évoquant la possibilité de répliquer le modèle congolais aux hémoglobinopathies voisines. Au-delà du symbole, Brazzaville entend démontrer que la diplomatie sanitaire peut devenir un vecteur de cohésion régionale, et que la maladie, longtemps stigmatisante, peut être le catalyseur d’une solidarité durable.