Deux années de pédagogie avant le tournant répressif
Dans l’amphithéâtre sobre de la mairie de Moungali, au cœur de Brazzaville, le directeur général de l’Agence de régulation des transferts de fonds, Basile Jean Claude Bazebi, a pris un ton résolument ferme. Devant des opérateurs financiers, des représentants municipaux et des autorités religieuses, il a rappelé que la série de campagnes d’information initiées en 2023 avait atteint ses limites : « Le temps de la sensibilisation s’achève, celui de la régulation effective s’ouvre ». Le message, ponctué par la promesse d’une mobilisation de tous les services de l’État, marque la transition d’une action incitative à une action coercitive calibrée.
Un cadre légal consolidé pour éviter les failles systémiques
Née de la loi du 4 avril 2012, l’ARTF bénéficie aujourd’hui d’un arsenal renforcé par la loi de finances 2025. Les textes révisés clarifient la typologie des infractions et graduent les pénalités : vingt à cinquante millions de francs CFA d’amende selon la gravité des manquements, fermeture administrative des points de service illicites, retrait définitif du droit d’exercer pour les dirigeants fautifs, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Ces dispositions, alignées sur les recommandations régionales de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, visent à interrompre les flux obscurs qui fragilisent le système bancaire congolais tout en privant le Trésor public de ressources indispensables.
Sécuriser les flux et soutenir la politique fiscale nationale
Selon les données internes de l’ARTF, près d’un transfert sur trois enregistrés au Congo serait opéré en marge des circuits officiels. Cette proportion, si elle favorise une liquidité informelle, échappe à l’impôt et nuit à la traçabilité financière requise par les standards internationaux. En alignant son action sur la feuille de route économique définie par le gouvernement, le régulateur ambitionne de transformer ces flux gris en contributions fiscales formelles pouvant soutenir le financement des infrastructures et des programmes sociaux. Pour le ministère des Finances, la démarche participe directement à la modernisation et à la transparence de l’économie congolaise, en droite ligne avec le Plan national de développement 2022-2026.
Entre adhésion prudente et inquiétudes des opérateurs
Si la grande majorité des établissements bancaires saluent une initiative qui devrait, selon eux, rétablir un climat de concurrence loyale, plusieurs micro-structures redoutent la rigidité du calendrier imposé. Un gérant de point de transfert interrogé sur place reconnaît « la nécessité d’une organisation », tout en plaidant pour « un accompagnement technique afin de satisfaire aux nouvelles normes ». Le directeur du cabinet de l’administrateur-maire de Moungali, Jean Valère Boumba, a souligné de son côté l’importance de la synergie entre autorités locales et régulateur : il s’agit, affirme-t-il, « d’éviter que la répression ne glisse vers l’informel, faute d’alternatives accessibles aux petits acteurs ».
Objectif 2027 : messagerie financière et souveraineté budgétaire
La vision que détaille l’ARTF ne se limite pas à la sanction. D’ici 2027, l’agence veut devenir un levier majeur de mobilisation des ressources internes, en intégrant progressivement les coopératives d’épargne, les institutions de microfinance et les plateformes numériques émergentes. Un projet de portail électronique unique est en cours de conception pour centraliser les déclarations d’activité, simplifier l’enregistrement et garantir la remontée en temps réel des flux déclarés. Cette architecture digitale, soutenue par des partenaires techniques internationaux, devrait faciliter la supervision et réduire les coûts de conformité pour les opérateurs agréés.
Une étape décisive pour la diplomatie économique congolaise
Sur la scène sous-régionale, l’initiative est observée avec intérêt. En harmonisant son cadre de régulation avec celui des pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, Brazzaville renforce sa crédibilité financière et rassure les bailleurs sur sa capacité à sécuriser les circuits de financement. Comme le souligne un diplomate africain en poste à Kinshasa, « la stabilité des flux financiers transfrontaliers est un prérequis pour attirer l’investissement direct étranger ». La démarche de l’ARTF pourrait ainsi se muer en outil d’influence, renforçant la position du Congo dans les négociations économiques régionales.
Cap sur la conformité : la voie d’un écosystème formalisé
En assumant la phase répressive de sa mission, l’ARTF confirme l’engagement du gouvernement congolais en faveur d’une économie plus transparente et compétitive. Le pari est ambitieux : concilier l’inclusion financière, indispensable à la vitalité des territoires, et l’exigence de conformité internationale. Les premiers résultats, attendus dès 2026, permettront de jauger la capacité des acteurs à intégrer un cadre normatif strict sans renoncer à leur agilité commerciale. L’avertissement lancé à Moungali n’avait rien de théâtral ; il scelle la volonté d’inscrire durablement les transferts de fonds dans la légalité, au bénéfice d’un État qui entend maîtriser son avenir budgétaire et consolider sa réputation au sein des cercles financiers.