Entre Abidjan et Brazzaville, les enjeux d’un dialogue sportif
Loin des pelotons mais au cœur d’une dynamique diplomatique subtile, la rencontre, le 17 juin 2025, dans un salon feutré de l’hôtel Sofitel d’Abidjan, entre Rufin Arsène Bakouétana et Yao Allah-Kouamé a confirmé le rôle désormais stratégique que les fédérations sportives africaines entendent jouer dans le rayonnement de leurs États respectifs. Le contexte prêtait à la gravité : en marge du 12ᵉ colloque du Forum des Inspections générales d’État d’Afrique, le président de la Fédération congolaise de cyclisme, également conseiller auprès de la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption, dévoilait au nouveau président ivoirien de la Confédération africaine de cyclisme le détail d’une séquence judiciaire qui aura, cinq années durant, paralysé la filière vélo au Congo-Brazzaville.
La capitale économique ivoirienne, habituée aux conciliabules panafricains, offrait un cadre idoine pour solder ce passé contentieux et redessiner une trajectoire où la performance sportive se double d’une valeur diplomatique. « Le cyclisme congolais veut reprendre la route sans faux-plat », a confié, sous réserve d’anonymat, un proche conseiller présent à l’entretien. L’échange n’était pas qu’un acte protocolaire : il esquissait la possibilité, pour Brazzaville, de devenir le théâtre d’un championnat continental dès août 2025, projet dont l’impact sur la visibilité régionale est loin d’être négligeable.
La sentence arbitrale, levier de gouvernance sportive
Au centre des discussions figurait la sentence rendue le 5 juin 2025 par la Chambre de conciliation et d’arbitrage du sport. Celle-ci réhabilite le bureau Bakouétana et met un terme à une série de sept procédures qui avaient érodé la confiance des acteurs économiques. Pour Yao Allah-Kouamé, « la stabilité institutionnelle est la première étape avant toute ambition continentale ». Les observateurs y voient un signal clair envoyé à d’éventuels investisseurs privés : le climat juridico-sportif se veut désormais lisible, un point que souligne un consultant basé à Dakar, évoquant « une gouvernance assainie, conforme au standard attendu par les bailleurs internationaux ».
L’État congolais, soucieux de préserver la cohésion de ses instances sportives, a, depuis Brazzaville, manifesté son soutien à la décision arbitrale, gage de sécurité pour les partenaires. Cette concordance entre autorité publique et structures fédérales nourrit un environnement propice à la relance des activités cyclistes, dans une logique où la métaphore de la chaîne bien huilée trouve ici tout son sens.
Un championnat africain en quête d’hospitalité logistique
Sélectionnée par tirage au sort, la République du Congo dispose du privilège – et de la responsabilité – d’accueillir le championnat africain de cyclisme. Or, organiser une compétition de cette envergure suppose une articulation millimétrée entre infrastructures, sécurité sanitaire, hébergement et mobilisation populaire. Rufin Arsène Bakouétana l’a rappelé avec prudence, arguant qu’« une course mal préparée expose autant l’image du pays que celle de la discipline ».
À Brazzaville, le comité d’organisation provisoire examine différentes pistes financières, notamment un montage public-privé où la Confédération africaine délèguerait le volet managérial à un opérateur spécialisé. Le calendrier reste serré, mais les autorités locales soulignent leur expérience héritée des Jeux africains de 2015, preuve que la capitale congolaise sait transformer des défis logistiques en vitrines diplomatiques.
Soft power brazzavillois et partenariat public-privé
Au-delà du simple enjeu sportif, c’est la projection d’un soft power brazzavillois qui se dessine. Les organisateurs misent sur le cyclisme pour valoriser des infrastructures modernisées, stimuler le tourisme de rencontre et renforcer les liens avec les diasporas. Plusieurs chancelleries accréditées à Brazzaville perçoivent déjà l’événement comme une opportunité de dialogues bilatéraux en marge des étapes programmées.
La question du matériel cycliste, bloqué depuis 2022 à Lyon pour défaut de solde, illustre toutefois la nécessité d’une coopération technique accrue. S’appuyant sur la décision arbitrale, le bureau Bakouétana finalise un plan de dédouanement avec l’appui d’un groupe bancaire régional. L’objectif est de rapatrier vélos et pièces avant la fin du trimestre, afin d’offrir aux coureurs congolais un équipement conforme aux standards de l’Union Cycliste Internationale.
Perspectives post-2025 : de la piste au rayonnement régional
Si le feu vert gouvernemental attendu dans les prochaines semaines se confirme, Brazzaville pourrait se positionner comme un hub continental du cyclisme, consolidant les avancées obtenues sur le terrain de la gouvernance. En filigrane, c’est également l’image d’un pays soucieux d’aligner ses pratiques sportives sur les exigences de transparence et d’efficacité qui se profile, en cohérence avec les orientations prônées par le président Denis Sassou Nguesso en matière de diplomatie d’influence.
L’après-championnat, lui, se prépare déjà. La fédération projette des stages conjoints avec des équipes d’Afrique australe et la résurrection du Tour du Congo, suspendu depuis 2019. Autant d’initiatives susceptibles de fédérer les jeunesses urbaines autour d’une discipline où l’effort individuel sert la performance collective – une analogie que les dirigeants politiques, dans la région, aiment à invoquer. À l’heure de la transition écologique et de la quête de mobilités douces, le vélo congolais pourrait bien offrir un modèle de résilience sportive et diplomatique, semant l’espoir que la prochaine ligne d’arrivée franchie soit celle d’un rayonnement régional durable.