Un pari industriel structurant
En annonçant le démarrage opérationnel de la raffinerie de Cabinda pour septembre 2025, Luanda franchit une étape stratégique. L’Angola, deuxième producteur subsaharien de brut, veut désormais transformer localement une partie de son pétrole, gage d’indépendance et de création de valeur au niveau national.
Le projet, co-détenu par la société nationale Sonangol et le gestionnaire d’actifs Gemcorp, annonce une capacité initiale de 30 000 barils jour, portée à 60 000 lors d’une seconde phase. L’investissement, estimé à 1,2 milliard de dollars, renforce l’architecture énergétique régionale.
Filière pétrolière et souveraineté énergétique
Jusqu’ici, la quasi-totalité des carburants consommés en Angola provenait d’importations, exposant les finances publiques aux chocs des marchés internationaux. En raffinant localement, le gouvernement entend réduire la facture d’import de 10 % dès la première année d’exploitation, selon le ministère des Finances.
La raffinerie de Cabinda s’ajoute à celle de Luanda, modernisée, et à la future installation de Lobito. Ensemble, ces infrastructures devraient couvrir plus de 80 % des besoins nationaux en essence et diesel, contribuant à sécuriser l’approvisionnement des provinces enclavées.
Le levier capital humain du projet KUMA
Lancées cette semaine par le ministre Diamantino Azevedo, les formations KUMA visent 5 000 apprenants issus principalement des provinces septentrionales. Mécanique, chaudronnerie, génie électrique ou encore informatique composent un catalogue de cours calibré sur les besoins réels de la raffinerie.
Chaque stagiaire percevra une allocation mensuelle de 100 000 kwanzas et bénéficiera d’un droit de première candidature aux postes ouverts par Sonangol et ses sous-traitants. Les centres de formation, fixes ou mobiles, privilégieront la participation des jeunes, des femmes et des personnes en situation de handicap.
Pour l’économiste Paula Cristina, « la main-d’œuvre représente le maillon le plus critique de toute stratégie de raffinage. En garantissant des compétences locales, l’État réduit les sorties de devises liées à l’expertise étrangère ». Plusieurs syndicats saluent déjà l’initiative, y voyant un amortisseur social essentiel.
Un calendrier aligné sur la relance productive
Le chantier avance à un rythme jugé « satisfaisant » par le consortium Gemcorp-Sonangol. Le distillateur atmosphérique est installé, tandis que la centrale électrique et la jetée maritime sont achevées à 70 %. Les essais à froid sont programmés pour le deuxième trimestre 2025.
Ce jalon coïncidera avec l’entrée en production de plusieurs gisements offshore, dont Agogo et Begonia. Leur brut léger, compatible avec la configuration de l’usine, réduira les coûts logistiques. Le ministère espère ainsi synchroniser montée en régime des champs et augmentation de la capacité de raffinage.
Enjeux géopolitiques régionaux
L’amélioration de l’autosuffisance angolaise pourrait redistribuer les flux pétroliers le long du corridor atlantique. Moins dépendant des importations, Luanda se positionnerait comme exportateur net de produits raffinés vers la République démocratique du Congo ou la Namibie, réduisant la pression sur les hubs sud-africains.
À Brazzaville, certains analystes voient aussi une opportunité de partenariats croisés, le Congo-Brazzaville développant son propre réseau logistique sur le fleuve Congo. Aucune concurrence frontale n’est anticipée, les volumes projetés restant complémentaires au regard des besoins sous-régionaux.
Regards croisés d’experts
Pour NJ Ayuk, président de la Chambre africaine de l’énergie, « le modèle KUMA place le capital humain au cœur de la transformation pétrolière ». De son côté, l’analyste Lucrécia Cardoso rappelle que la réussite reposera sur la gouvernance environnementale et la discipline budgétaire.
Les ONG locales, elles, insistent sur la transparence des recrutements et la pérennité des allocations versées aux stagiaires. « Former sans embaucher créerait de la frustration », prévient Joana Neto, coordinatrice d’un collectif de jeunes diplômés. Le ministère assure que 70 % des futurs emplois seront nationaux.
Retombées économiques attendues
Le Trésor public table sur 450 millions de dollars d’économies annuelles liées à la baisse des importations de carburants. À moyen terme, la marge de raffinage pourrait générer un surplus commercial de 1 milliard de dollars, mobilisable pour diversifier l’économie hors pétrole.
Selon la Banque mondiale, chaque point de pourcentage de contenu local supplémentaire dans la chaîne pétrolière se traduit par une hausse approximative de 0,2 % du PIB angolais. Le programme KUMA, en internalisant savoir-faire et maintenance, ambitionne donc d’amplifier le multiplicateur de croissance domestique.
Perspectives futures
À plus long terme, Luanda envisage l’implantation d’un centre de recherche appliquée adossé à la raffinerie pour tester des biocarburants issus de la canne à sucre de Malanje. L’objectif est d’anticiper l’évolution des normes internationales en matière de décarbonation des transports.
Un financement mixte, faisant appel à la Banque africaine de développement et à des obligations vertes, est à l’étude. Cette approche, encore peu répandue dans la région, illustrerait la volonté gouvernementale de conjuguer compétitivité énergétique et engagements climatiques, tout en consolidant la résilience macroéconomique.