Une célébration mondiale aux accents nationaux
La cinquième Journée mondiale des micro, petites et moyennes entreprises n’a pas constitué, à Yaoundé, un simple exercice de communication institutionnelle. Placée sous le thème « import-substitution et renforcement de la productivité des MPME », la manifestation a réuni décideurs publics, partenaires techniques et représentants du secteur privé autour d’un constat sans appel : 99,8 % du tissu économique camerounais repose sur ces entreprises, pourtant confrontées à une rareté chronique du crédit et à une dépendance croissante vis-à-vis des importations.
Dans un environnement international marqué par les remous des chaînes logistiques, l’événement a servi de tribune pour réaffirmer la volonté du gouvernement de ramener la production au cœur de la stratégie nationale. Le ministre des PME, de l’Économie sociale et de l’Artisanat, Achille Bassilekin III, a rappelé que « le Cameroun ne saurait consolider une croissance inclusive sans consolider la base entrepreneuriale qui la porte ». Cette approche donne le ton d’un programme qui se veut à la fois socialement équitable et économiquement compétitif.
Un engagement financier structurant de 1,5 milliard FCFA
Pour passer de la déclaration de principe à l’action concrète, l’exécutif a décidé de transférer une enveloppe de 1,5 milliard FCFA à la Banque camerounaise des PME. L’institution, créée en 2015 mais encore en phase de consolidation, devient ainsi l’opérateur pivot d’un dispositif qui couple accompagnement technique et soutien en trésorerie. Les dossiers de financement ciblent prioritairement les unités capables de substituer des produits importés, générer de l’emploi et respecter les normes environnementales.
Le ministre Bassilekin III précise que le processus sera itératif : « Les premiers bénéficiaires ouvriront la voie à un mécanisme renouvelable qui permettra de mesurer l’impact et d’ajuster les critères d’éligibilité ». Cette démarche évite l’écueil d’une distribution de fonds sans suivi et conforte la doctrine gouvernementale d’« aide liée à la performance ».
La Banque camerounaise des PME : catalyseur d’un écosystème encore fragile
Conçue sur le modèle de banques de développement spécialisées, la Banque camerounaise des PME doit combler un déficit de financement estimé à près de 1 000 milliards FCFA à l’échelle nationale, selon les dernières données du Groupement inter-patronal camerounais. En lui confiant la gestion du nouveau guichet, l’État affiche sa confiance dans la capacité de l’établissement à mutualiser les ressources d’institutions régionales – Afrieximbank et BDEAC en tête – et à structurer des produits bancaires adaptés au rythme de croissance parfois erratique des MPME.
L’accent mis sur un guichet unique répond également au besoin de simplifier les procédures. Les entrepreneurs interrogés à Douala évoquent régulièrement des délais d’instruction supérieurs à six mois pour des montants inférieurs à 50 millions FCFA. La plateforme numérique que la banque s’apprête à déployer devrait raccourcir ces délais et permettre un suivi en temps réel, facteur déterminant pour maintenir la confiance des investisseurs.
Import-substitution : vers une souveraineté productive
Au-delà du soutien financier, l’objectif affiché consiste à réduire graduellement la facture des importations, évaluée à près de 3 000 milliards FCFA en 2023. Les secteurs agro-alimentaire, transformation du bois et chaîne coton-textile-cuir forment le triptyque stratégique identifié par le ministère. Ils présentent des marges de progression rapide du fait de la disponibilité de matières premières locales, de l’essor du marché sous-régional CEMAC et de l’intérêt croissant des bailleurs pour l’économie verte.
Dans le segment alimentaire, l’Agence nationale de la compétitivité des MPME (ANACOME) sera chargée de subventionner les tests produits et les certificats de conformité, condition sine qua non de l’accès aux rayons de la grande distribution. Au-delà du renforcement des capacités techniques, cette mesure vise à accroître la confiance du consommateur et, par ricochet, à limiter l’attrait pour des produits importés parfois moins coûteux mais de qualité fluctuante.
Normes et certification : nouveau sésame pour l’export
Le dispositif prévu pour 2025 veut hisser les standards locaux à hauteur des exigences du Codex Alimentarius pour l’agro-alimentaire, du Forest Stewardship Council pour le bois et de l’Organisation internationale du cuir pour la filière textile. En finançant la conformité, l’État entend transformer la contrainte réglementaire en avantage compétitif et préparer les MPME à pénétrer des marchés réputés exigeants, notamment l’Union européenne et la Zone de libre-échange continentale africaine.
Selon la Chambre de commerce, le surcoût lié à la certification oscille entre 5 % et 12 % du prix de revient d’un produit. La subvention publique aura donc un effet de levier appréciable, d’autant que les partenaires au développement – Union européenne, Banque mondiale, Banque africaine de développement – ont manifesté leur intention de flécher des ressources complémentaires vers la mise à niveau normative.
Chaîne de valeur coton-textile-cuir : un pari sur l’intégration régionale
Au centre du dispositif figure la transformation du coton, ressource abondante dans l’Extrême-Nord, mais encore exportée en l’état à plus de 70 %. La relance de complexes industriels à Garoua et Maroua, associée à des ateliers de confection à Yaoundé et Douala, permettra de capter la valeur ajoutée aujourd’hui réalisée hors des frontières. Le cuir, coproduit longtemps négligé, suscite déjà l’intérêt de tanneries congolaises et gabonaises, ouvrant la voie à des partenariats Sud-Sud dont les retombées fiscales pourraient être significatives.
Cette dynamique régionale, cohérente avec l’agenda d’industrialisation de la CEMAC, est accueillie favorablement par les voisins, au premier rang desquels la République du Congo, désireuse de diversifier ses importations de biens manufacturés tout en préservant la stabilité commerciale sous-régionale.
Vers un nouveau contrat social économique
En dotant la Banque camerounaise des PME d’un capital frais et en articulant soutien financier, assistance technique et politique normative, l’exécutif mise sur un cercle vertueux : création d’emplois décents, croissance inclusive et atténuation de la vulnérabilité externe. Si les défis – lourdeurs administratives, accès à l’énergie, coût logistique – demeurent, la trajectoire actuelle marque une rupture avec les approches fragmentées du passé.
Comme le rappelle un diplomate africain en poste à Yaoundé, « l’enjeu n’est pas uniquement de financer, mais d’accompagner, de mesurer et de pérenniser ». À l’heure où les partenaires internationaux privilégient les projets à impact mesurable, le Cameroun se dote d’un instrument susceptible de catalyser l’épargne locale et de lever les réticences des investisseurs institutionnels. Sous réserve d’une gouvernance rigoureuse, l’enveloppe de 1,5 milliard FCFA pourrait ainsi préfigurer un changement d’échelle pour l’entrepreneuriat national et, partant, pour la résilience économique du pays.