Un vétéran politique à la croisée des chemins
À soixante-dix-huit ans, Bello Bouba Maïgari n’appartient plus à la catégorie des outsiders. Ancien Premier ministre durant la brève transition de 1982 à 1983, puis ministre d’État, ministre du Tourisme et des Loisirs depuis 2011, il est l’une des rares figures à avoir traversé, sans rupture apparente, quatre décennies de vie publique camerounaise. Samedi 28 juin, devant le Comité central de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), il a annoncé : « J’ai accepté d’être candidat à la prochaine élection présidentielle en octobre 2025 », répondant ainsi à la sollicitation formelle de ses militants. À Yaoundé, chacun s’interroge désormais sur la portée réelle d’une candidature qui se veut, selon ses proches, « la synthèse d’une expérience d’État et d’une aspiration de renouveau ».
L’enjeu du septentrion et la redistribution des cartes partisanes
La décision de Bello Bouba intervient quatre jours après la démission d’Issa Tchiroma Bakary, lui aussi originaire du Nord, qui a explicitement déclaré vouloir « parler au nom de ceux qu’on entend peu ». L’effet domino est palpable : dans une région stratégique, où le taux de participation a déterminé les rapports de force lors des scrutins précédents, deux vétérans – naguère alliés du parti présidentiel – se retrouvent soudain en compétition, chacun revendiquant un capital sociologique spécifique. Les analystes à Douala soulignent que « le septentrion devient un laboratoire de la présidentielle », d’autant que les enjeux sécuritaires liés à la porosité frontalière et à la résilience post-Boko Haram renforcent la centralité du vote des régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua.
Alliance UNDP-RDPC : vers un gentleman agreement revisité ?
Depuis 1992, l’UNDP fut tour à tour parti d’opposition et partenaire de gouvernance, signataire d’un accord parlementaire inscrit de facto dans la longévité du système Biya. Interrogé sur la pérennité de cette alliance, un cadre du parti a lancé à Africa24 : « Pourquoi rompre une alliance si c’est pour la refaire après ? » La formule en dit long sur la souplesse idéologique de cette coalition, perçue par les chancelleries comme un amortisseur des tensions politiques. La candidature de Bello Bouba ne signifie pas nécessairement rupture : des sources au Palais des congrès évoquent la possibilité d’un « arrangement électoral minimal », permettant à l’UNDP de préserver son ancrage institutionnel tout en offrant à son leader une tribune nationale. Pour le RDPC, le maintien d’une dynamique pluraliste encadrée sert, in fine, la doctrine de stabilité, suffisamment rassurante pour les investisseurs et les partenaires internationaux.
Entre continuité institutionnelle et velléités de renouvellement
Le discours de Bello Bouba s’articule autour de deux axes : la consolidation des acquis économiques et la modernisation administrative. Sur le plan macroéconomique, il prône une politique de substitution aux importations dans les filières de transformation agricole, afin de réduire la facture en devises. Sur le plan institutionnel, il insiste sur une « correction du rapport centre-périphérie » par un transfert réel de compétences aux collectivités territoriales – une promesse déjà brandie lors du Grand Dialogue national de 2019. Parmi ses porte-parole, l’on rappelle que « la décentralisation doit être un vrai levier de cohésion nationale, non un slogan de campagne ». Cette approche réformiste, sans être ouvertement critique du système, se veut complémentaire au projet de stabilité vanté par le pouvoir en place.
La communauté internationale attentive à la mécanique électorale
À deux ans du scrutin, les partenaires au développement observent trois paramètres : la qualité du fichier électoral, la liberté de mouvement des candidats et la couverture médiatique pluraliste. Selon un diplomate européen en poste à Yaoundé, la présence de figures issues de l’exécutif pourrait « faciliter la circulation d’informations entre institutions et candidats, limitant ainsi les zones d’ombre ». De son côté, l’Union africaine insiste, dans ses notes préparatoires, sur la nécessité de prévenir tout conflit post-électoral grâce à une justice électorale accessible et à un dispositif d’observation renforcé. La candidature de Bello Bouba, perçue comme un signal de pluralisme sous contrôle, pourrait être interprétée par certains bailleurs comme un gage supplémentaire de prévisibilité.
Vers une transition générationnelle encadrée
Certes, le nouveau prétendant a l’âge de ses ambitions ; néanmoins, il se présente comme le « passeur » d’une génération émergente. Le comité de campagne qu’il envisage de mettre en place devrait, si l’on en croit ses proches, intégrer un tiers de cadres de moins de quarante ans, particulièrement issus du numérique et de l’agropole. Pour la sociologue Marie-Claire Tchanga, « cette stratégie rassure les élites traditionnelles tout en envoyant un signal à la jeunesse, déterminante dans la démographie électorale ». Reste toutefois à savoir si le message parviendra à galvaniser un électorat qui, depuis 2018, oscille entre abstention et quête de nouvelles figures. Au-delà de la personne de Bello Bouba, l’enjeu réel pourrait être l’institutionnalisation d’une alternance progressive à l’intérieur même des formations historiques.
Quel scénario d’ici octobre 2025 ?
La Constitution camerounaise autorise la présence de membres du gouvernement au scrutin ; cependant, le précédent Issa Tchiroma rappelle que la démission tend à s’imposer comme norme tacite de bienséance institutionnelle. Selon un conseiller juridique du Sénat, « un départ de l’exécutif aurait surtout valeur de signal éthique », permettant d’éviter toute confusion entre moyens d’État et ressources de campagne. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, l’on considère déjà que l’issue du duel septentrional dépendra de la capacité de chaque candidat à élargir sa base au-delà de son assise régionale. Les prochains mois seront rythmés par la révision des listes électorales, la publication éventuelle de nouveaux candidats et le calibrage des coalitions. Dans ce jeu d’équilibriste, Bello Bouba Maïgari mise sur son expérience ministérielle pour convaincre qu’il demeure, selon son expression, « le trait d’union entre passé et futur sans rupture brutale ».