Un calendrier électoral cristallisant les attentes
À seize mois du scrutin présidentiel fixé au 5 octobre 2025, la scène politique camerounaise connaît une inflexion inattendue. Deux figures historiques du sérail, Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba Maïgari, ont successivement annoncé leur ambition de briguer la magistrature suprême. La temporalité de ces déclarations retient l’attention : toutes deux interviennent dans la foulée de remaniements qui ont vu les intéressés quitter leurs portefeuilles ministériels. À Yaoundé comme dans les chancelleries, on s’interroge sur la portée réelle d’un tel télescopage entre agenda gouvernemental et timing politique.
Les ressorts d’un ralliement tardif
Issa Tchiroma, longtemps porte-voix zélé du gouvernement au ministère de la Communication puis de l’Emploi, justifie aujourd’hui sa démarche par « l’urgence d’un souffle neuf répondant aux aspirations de la jeunesse ». Bello Bouba, vétéran de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès, évoque quant à lui « l’alternance apaisée ». Derrière ces formules, des diplomates régionaux lisent un pragmatisme de circonstance : sentir la fin d’un cycle et se repositionner avant que le rideau ne tombe sur quarante-plus années de présidence Biya. Pour un analyste du Centre africain d’études stratégiques basé à Dakar, « il s’agit moins d’une rupture idéologique que d’une tentative de continuité sous un autre visage ».
La question du legs et de la légitimité
La légitimité des deux candidats se retrouve paradoxalement arrimée au bilan qu’ils critiquent. Leur long compagnonnage avec le pouvoir amorce un débat sur la responsabilité partagée dans la trajectoire économique et sécuritaire du pays. Les défenseurs de Tchiroma et Bouba insistent sur leur connaissance intime des rouages institutionnels, y voyant un gage de stabilité dans un environnement régional où la constance demeure un facteur de confiance, notamment pour les investisseurs étrangers et les partenaires multilatéraux. Leurs détracteurs y lisent au contraire une forme d’opportunisme électoral habilement masqué sous l’étendard de la rénovation.
Une partie d’échecs régionale
Originaires du Nord, les deux prétendants bouleversent l’équilibre territorial patiemment cultivé par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais. Dans ce bastion stratégique, l’adhésion populaire s’adosse souvent à des arbitrages subtils entre communauté, représentation ministérielle et redistribution des rentes publiques. La dissidence de ces leaders pourrait reconfigurer la cartographie électorale en y introduisant une concurrence inédite. À Garoua, plusieurs notables saluent déjà « une ouverture du jeu », tandis qu’à Ngaoundéré, certains cadres du RDPC confessent en privé « un risque d’érosion du vote loyaliste ».
Silences présidentiels et spéculations successoriales
À 92 ans, Paul Biya n’a pas encore dévoilé son intention de se représenter. Ce mutisme alimente rumeurs et calculs. Pour les diplomates en poste à Yaoundé, la dynamique actuelle rappelle l’attente circonspecte de 2018, lorsque la candidature du chef de l’État fut tardivement officialisée. Dans cet interstice d’incertitude, les initiatives individuelles prolifèrent, mais aucune n’entend s’inscrire en rupture frontale avec le socle institutionnel existant. Au contraire, la plupart des acteurs s’emploient à rassurer sur la continuité du compromis sécuritaire et macro-économique qui, selon un responsable de la CEMAC, « reste un facteur de stabilité régionale indispensable ».
Scénarios pour un scrutin sous haute surveillance
Si la Commission électorale nationale indépendante confirme le calendrier actuel, la campagne officielle s’ouvrira début août 2025. Entre-temps, l’entrée en lice de Tchiroma et de Bouba fait planer l’hypothèse d’un second tour, éventualité institutionnalisée depuis la dernière révision constitutionnelle mais jamais expérimentée. Pour nombre d’observateurs, un tel scénario mettrait à l’épreuve la capacité logistique de l’appareil électoral et l’impartialité perçue des forces de sécurité. Les partenaires internationaux, Union africaine en tête, préparent déjà leurs missions de suivi. Dans ce contexte, Yaoundé assure que les standards de transparence seront respectés, un message repris par les deux anciens ministres qui se disent prêts à « jouer le jeu des urnes ».
Entre continuité et mue contrôlée
Les candidatures des deux barons témoignent avant tout de la maturité d’un système politique capable d’absorber la critique interne sans rompre avec son propre ADN. Les chancelleries qui observent le dossier y voient un indicateur de résilience institutionnelle plutôt qu’un signe de délitement. Pour les électeurs, l’enjeu demeure de savoir si les promesses de modernisation formulées par d’anciens gardiens du temple se traduiront en propositions concrètes, notamment sur l’emploi des jeunes et la gouvernance des ressources naturelles. D’ici octobre 2025, l’histoire politique camerounaise continuera de se réécrire à touches mesurées, dans un subtil dosage entre perpétuation et mutation.