Une démission qui résonne dans le calme apparent de Yaoundé
Lorsque l’ex-ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle a remis, lundi, sa lettre de démission au Premier ministre camerounais, la nouvelle a circulé d’abord par les réseaux sociaux avant d’être confirmée par les services du protocole. L’annonce a fait l’effet d’un symbole plutôt que d’un séisme : dans un paysage où la stabilité institutionnelle reste l’argument central du régime, le départ d’un homme de confiance rappelle que l’équilibre se nourrit aussi de mouvements internes.
À 75 ans, Issa Tchiroma Bakary dispose d’un capital politique conséquent. Porte-parole du gouvernement durant une décennie, il a défendu contre vents et marées la ligne présidentielle, tout en gardant la direction du Front pour le salut national du Cameroun, formation satellite du Rassemblement démocratique du peuple camerounais. Son retrait volontaire interroge donc la mécanique interne d’un pouvoir qui, à ce stade, n’a pas encore désigné son candidat officiel pour la prochaine échéance électorale.
Du cabinet ministériel à l’arène électorale : itinéraire d’un fidèle critique
Transport, Communication, Emploi : rares sont les portefeuilles majeurs qui n’ont pas figuré dans les attributions successives de l’ingénieur polyglotte originaire du Nord. Dans ses discours récents, l’ancien ministre défend une vision qu’il qualifie d’« alternance sereine », estimant que « le modèle en vigueur depuis des décennies a prouvé sa résilience mais aussi ses limites ».
Cette nuance illustre une stratégie classique dans les transitions africaines contemporaines : ne pas incendier le passé pour mieux s’en distinguer. Issa Tchiroma pratique ainsi une rhétorique de continuité républicaine, évitant toute attaque ad hominem contre le président Paul Biya, tout en exhortant l’institution qu’il a servie à « se retirer dans la dignité ». Une posture d’équilibriste, calculée pour rassurer l’administration et attirer les franges de la société civile en quête de renouvellement.
Les ressorts d’une candidature tardive dans un paysage fragmenté
Au-delà du symbole, la candidature du chef du FSNC répond à une arithmétique électorale précise. Dans le Nord et l’Extrême-Nord, régions fortement peuplées et longtemps considérées comme des bastions de la majorité, de récents signaux laissent transparaître un besoin de représentation plus appuyée. L’ancien ministre entend capitaliser sur cette attente, tout en bénéficiant de la notoriété acquise à l’échelle nationale.
La tâche reste néanmoins ardue : l’opposition dite institutionnelle peine encore à fédérer un front unique. Les figures de la société civile, pour leur part, oscillent entre scepticisme et pragmatisme. En se déclarant tôt, Issa Tchiroma espère combler le vide stratégique, mais il se heurte à une tradition politique où la dernière parole revient souvent au sommet de l’État, parfois à quelques semaines seulement du scrutin.
Impacts sous-régionaux : la CEEAC observe sans alarmisme
Dans une Communauté économique d’Afrique centrale scrutée pour sa capacité d’intégration, la stabilité camerounaise demeure un pivot incontournable. Les chancelleries de Libreville et de Brazzaville soulignent régulièrement que tout processus électoral dans la sous-région doit s’inscrire dans un cadre légal consolidé et respectueux des souverainetés nationales. À cet égard, la candidature d’un ancien ministre, loyal vis-à-vis de l’ordre constitutionnel, rassure bien plus qu’elle ne préoccupe.
Certains diplomates africains rappellent qu’en 2016, l’Angola avait connu une configuration comparable, avec l’irruption d’une figure issue du sérail pour orchestrer en douceur la succession présidentielle. À Yaoundé, la comparaison est maniée avec prudence : ici, l’incertitude porte moins sur l’identité du chef de l’État que sur la forme que prendra l’éventuelle transition.
Réconciliation nationale et sécurité : les thèmes clefs de la campagne
Issa Tchiroma promet une « conférence de réconciliation » dès les cent premiers jours de son mandat, s’il est élu. En filigrane, la question du conflit dans les régions anglophones reste le défi le plus urgent. L’ancien ministre critique la lenteur des initiatives existantes mais valide le principe d’un dialogue encadré par les institutions étatiques. À ses yeux, la pacification passe par une décentralisation accélérée, combinée à un plan de relance économique pour le Nord-Ouest et le Sud-Ouest.
Sur le front macro-économique, le candidat préconise la diversification énergétique et la valorisation de l’industrie agro-alimentaire afin d’atténuer la dépendance pétrolière. Les organisations patronales accueillent ces orientations avec intérêt, rappelant toutefois que les marges d’investissement restent liées à la solidité de la gouvernance fiscale.
Quel horizon pour la majorité présidentielle ?
À l’heure où Paul Biya n’a pas encore dévoilé ses intentions, le RDPC conserve l’avantage de la verticalité administrative. La nomination de nouveaux secrétaires généraux dans plusieurs ministères, le mois dernier, confirme la volonté du pouvoir de consolider les leviers de gestion territoriale. Des rumeurs évoquent la possibilité d’un candidat interne adoubé par le parti, scénario qui n’exclurait pas le maintien de l’actuel chef de l’État comme figure tutélaire.
Dans ce contexte, l’initiative d’Issa Tchiroma pourrait également servir de catalyseur au débat stratégique, en obligeant la majorité à préciser sa feuille de route. « La dynamique interne prime sur la dynamique concurrentielle », résume un analyste politique de Douala, estimant que « l’ancien ministre participe autant à la stabilisation du système qu’à sa mise à jour ».
Entre prudence institutionnelle et aspiration au renouveau
Au final, la candidature de l’ex-communicant du gouvernement incarne cette approche typiquement centre-africaine où l’alternance se veut évolutive plutôt que disruptive. L’intéressé se sait tributaire d’un électorat qui exige des garanties de continuité, tout en souhaitant l’ouverture de nouvelles perspectives socio-économiques.
Reste désormais à observer la capacité des formations d’opposition à construire une offre alternative cohérente, sans quoi l’élection pourrait se résumer à un débat interne à la majorité élargie. Dans tous les cas, l’annonce d’Issa Tchiroma redonne au calendrier électoral camerounais la densité politique qui lui faisait défaut depuis plusieurs mois, tout en rappelant aux partenaires extérieurs qu’une mutation institutionnelle peut s’écrire sans vacarme, mais non sans enjeux.