De la menace diffuse à la stratégie d’influence contrôlée
À mesure que la compétition internationale glisse du terrain militaire vers les arènes financières, technologiques et informationnelles, la bataille pour la valeur ajoutée se joue désormais dans les coulisses des marchés. Le Cameroun, conscient de cette mutation, a franchi un pas décisif du 30 juin au 6 juillet 2025 en conviant cinquante analystes de la Direction Générale de la Recherche Extérieure (DGRE) à une session immersive sur l’intelligence économique augmentée. L’initiative, saluée par plusieurs chancelleries africaines, exprime une volonté nouvelle : délaisser l’attentisme doctrinal pour se doter d’outils offensifs capables de neutraliser l’influence adverse avant l’apparition de frictions commerciales irréversibles.
Un partenariat d’expertise africaine assumé
Fidèle à l’adage selon lequel la souveraineté commence par la maîtrise de son propre savoir, Yaoundé a choisi de s’appuyer sur le Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique (CAVIE), institution panafricaine installée depuis une décennie au cœur des problématiques de souveraineté informationnelle. Au fil de cinq modules structurants – cartographie des parties prenantes, veille ciblée, influence normative, protection des actifs sensibles et cyber-anticipation – la formation a mis l’accent sur les méthodologies de collecte à source ouverte, l’analyse prédictive et l’orchestration de contre-mesures discrètes. Un officier présent dans la salle confie qu’« il ne s’agissait pas seulement d’absorber des outils, mais bien de bâtir une culture d’alerte permanente compatible avec la cadence de l’économie numérique ».
La figure académique de Guy Gweth, catalyseur de compétences
Le choix du Dr Guy Gweth comme chef de file n’est pas anodin. Formé entre Paris, Johannesburg et Washington, l’auteur de « L’intelligence économique en Afrique » est devenu, en quinze ans, l’une des voix les plus consultées sur le continent en matière de due diligence, de diplomatie économique et de gestion de crise réputationnelle. Responsable du programme Doing Business in Africa à CentraleSupélec et à l’EMLyon, Gweth revendique une approche « afro-centrée mais universelle », fondée sur la circulation horizontale de l’information stratégique entre pouvoirs publics et capitaines d’industrie. Devant l’assemblée, il a rappelé que « les flux de données structurent désormais la hiérarchie des puissances autant que les oléoducs hier ». Cette posture, articulant rigueur académique et pragmatisme opérationnel, a trouvé un écho favorable auprès d’officiers qui, pour la plupart, ont jusque-là concentré leurs efforts sur la sécurité territoriale classique.
L’ambition d’un Centre national d’intelligence économique et stratégique
Au terme des travaux, le directeur général de la DGRE a officialisé l’intention gouvernementale de créer, avant la fin de l’année, un Centre national d’intelligence économique et stratégique (CNIES). Placé sous tutelle interministérielle, cet organe sera chargé d’agréger l’information issue des ministères sectoriels, des entreprises publiques et des partenaires privés afin de générer des scénarios de risques géoéconomiques. Selon un conseiller proche du dossier, le modèle s’inspire à la fois du National Economic Council américain pour sa capacité de coordination et du Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économiques français pour son ancrage préventif. L’implication annoncée du CAVIE dans la phase de structuration témoigne d’une ambition double : capitaliser sur l’expertise panafricaine et limiter la dépendance aux cabinets de conseil extérieurs souvent jugés trop intrusifs.
Implications régionales et perspectives diplomatiques
Cette montée en puissance intervient dans un contexte sous-régional marqué par la reconfiguration des corridors logistiques du Golfe de Guinée et l’émergence de pôles industriels concurrents au Nigéria et en Côte d’Ivoire. Pour un diplomate européen accrédité à Yaoundé, « le Cameroun envoie le signal qu’il n’entend plus se contenter d’être un simple point de passage pour les flux commerciaux, mais qu’il aspire à devenir un producteur d’informations à haute valeur stratégique ». À court terme, la professionnalisation du renseignement économique pourrait renforcer la résilience des entreprises nationales face aux acquisitions hostiles et favoriser un cadre de négociation plus équilibré avec les bailleurs internationaux. À moyen terme, elle pourrait introduire un nouveau paramètre dans les arbitrages de politique étrangère de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale, en créant un précédent inspirant pour les pays voisins.