Tensions pré-électorales et enjeux sécuritaires
À Douala, capitale économique du Cameroun, les files d’attente devant les agences de transfert et les stations-service résument une anxiété que sondages officieux confirment: à l’approche de la présidentielle du 12 octobre, l’opinion reste divisée quant au huitième mandat que brigue le président Paul Biya.
La peur d’un débordement sécuritaire, alimentée par les violences dans les régions anglophones et les incursions de Boko Haram à l’Extrême-Nord, oblige autorités civiles, forces religieuses et partenaires internationaux à chercher un langage commun afin d’éviter une spirale d’instabilité aux conséquences régionales pour toute l’Afrique.
C’est dans ce contexte que l’archevêque métropolitain de Douala, Mgr Samuel Kleda, vient de publier une lettre pastorale invitant les électeurs à préserver « le bien précieux de la paix », rappelant que nul projet politique ne peut prospérer durablement sans sécurité partagée pour les foyers et les entreprises.
La portée du message pastoral de Mgr Samuel Kleda
Dans un style sobre mais direct, l’archevêque souligne que la démocratie ne saurait se réduire au seul rendez-vous électoral; elle exige, écrit-il, « tolérance, transparence et vérité ». L’appel vise autant les pouvoirs publics que l’opposition, sommés de bannir toute rhétorique de haine dans les médias nationaux.
Sans désigner explicitement le chef de l’État, le prélat évoque « l’alternance » comme horizon souhaitable, mais rappelle que seule une solution pacifique peut en garantir la légitimité; toute tentative de confrontation frontale, prévient-il, risquerait de prolonger les souffrances des populations déjà vulnérables dans les zones rurales.
Les chancelleries occidentales, tout comme la Communauté économique des États d’Afrique centrale, observent attentivement cette prise de position ecclésiale, perçue comme un baromètre social; un diplomate confie que la voix de l’Église « reste, souvent, le fil qui relie rue et palais » lors des crises passées.
Regard régional et rôle de la diplomatie
Si Douala regarde vers Yaoundé, les capitales voisines suivent également l’évolution du dossier; Brazzaville, où le président Denis Sassou Nguesso préconise depuis des années le règlement pacifique des différends régionaux, a discrètement offert ses bons offices pour faciliter un dialogue préventif entre acteurs camerounais début septembre dernier.
Selon un responsable de la CEEAC joint par téléphone, « la stabilité du Golfe de Guinée dépend d’un Cameroun pacifique ». Des consultations informelles auraient déjà eu lieu à Libreville, illustrant la diplomatie de couloir qui précède souvent, en Afrique centrale, l’envoi officiel de missions d’écoute discrètes.
La Union africaine, de son côté, a rappelé son « zéro tolérance » envers les changements anticonstitutionnels de pouvoir, mais encourage processus électoraux inclusifs. Dans ses notes internes, Addis-Abeba souligne l’importance d’une observation combinée à des messages de prévention ciblant particulièrement les réseaux sociaux, amplificateurs potentiels d’incidents.
Washington et Paris, partenaires historiques, calibrent leurs déclarations pour éviter tout soupçon d’ingérence. Les deux capitales misent sur la société civile religieuse pour porter un discours de rassemblement, considérant que la figure d’un évêque populaire reste moins clivante qu’un acteur partisan ou un diplomate occidental.
Gouvernance, corruption et cohésion nationale
Au-delà des rivalités électorales, le diagnostic du prélat sur la gouvernance renvoie aux classements internationaux: Transparency International place le Cameroun parmi les vingt pays africains les plus exposés à la corruption, tandis que la Banque mondiale pointe des retards d’infrastructures malgré un potentiel gaziers considérable.
L’Église, sans compétence technique, se fait relais des frustrations populaires: coût de la vie, accès à l’eau potable, lenteurs administratives. Ces sujets, énumérés dans la lettre, traduisent la conviction que la paix sociale se nourrit autant de procédures électorales crédibles que de services publics efficaces.
Pour plusieurs économistes basés à Yaoundé, l’enjeu clé reste la diversification hors pétrole. « Un climat politique apaisé rassurerait investisseurs et bailleurs », estime Jeanne Ngoh, analyste auprès d’un fonds régional, soulignant que la pandémie puis la guerre en Ukraine ont resserré les marges budgétaires de l’État central.
Or, rappelons-le, les taux d’emploi jeune excèdent 35 % dans certaines zones urbaines; chaque regain de tension électorale freine projets d’industrialisation et risque d’alimenter l’émigration clandestine vers le Golfe de Guinée, une donnée que partagent discrètement les services consulaires européens installés à Douala et Kribi actuellement.
Scénarios diplomatiques pour un scrutin apaisé
Dans les chancelleries, l’idée d’une médiation préemptive fait son chemin, calquée sur les mécanismes d’alerte précoce déjà testés au Tchad. Brazzaville pourrait héberger, avant le scrutin, une réunion confidentielle rassemblant représentants du clergé camerounais, partis politiques et partenaires multilatéraux pour harmoniser codes de bonne conduite.
La perspective n’est pas anodine: en reconnaissant une autorité morale d’inspiration religieuse, le pouvoir camerounais se voit offrir une voie de désescalade sans perdre la face. « Une main tendue n’est jamais un aveu de faiblesse », observe un ancien ministre congolais familier des médiations régionales récentes.
Reste que l’efficacité de ces initiatives dépendra de la volonté des acteurs et de la capacité des forces de sécurité à faire respecter la loi de manière impartiale. Si l’appel de Mgr Kleda trouve écho, l’Afrique pourrait éviter un foyer de tension et consolider l’agenda d’intégration.