La traque numérique fiscale se précise à Yaoundé
Dévoilé à l’occasion de l’élaboration du budget prévisionnel 2026-2028, le projet camerounais de dispositif électronique de traçabilité des transactions financières ambitionne de combler ce que le ministère des Finances qualifie, en privé, de « zone d’ombre budgétaire ». Inspiré des solutions de facturation électronique déjà déployées dans la sous-région, le futur « œil numérique » du fisc permettra de capter, en quasi-temps réel, les flux générés par les services de transfert d’argent et les plateformes de jeux en ligne. Signe de son importance stratégique, l’enveloppe de conception du système figure en tête des arbitrages interministériels et bénéficie d’un suivi direct du Premier ministre.
Un secteur en plein essor qui échappe encore au radar budgétaire
Depuis l’essor du mobile money dans les années 2010, le Cameroun concentre plus de sept opérations sur dix enregistrées dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, soit 1,7 milliard de transactions représentant 59 000 milliards de FCFA en 2022 (Banque des États de l’Afrique centrale). À l’échelle continentale, seuls le Kenya et le Nigeria affichent des volumes plus élevés, chaque pays faisant déjà contribuer l’industrie des paiements numériques à près de 8 % de son produit intérieur brut. À Yaoundé, les services fiscaux estiment toutefois que la courbe ascendante des usages ne se reflète pas encore dans les déclarations de chiffre d’affaires, entretenues par des comptabilités internes jugées « peu lisibles ».
Le pari d’une équité fiscale accrue entre opérateurs
Pour l’administration, la traçabilité automatisée ne vise pas seulement à accroître la recette globale ; elle entend surtout rétablir une concurrence loyale entre opérateurs, certains étant accusés de sous-déclarer leurs volumes tandis que d’autres s’acquittent scrupuleusement de la taxe sur la valeur ajoutée et de l’impôt sur les sociétés. « Le principe est de substituer la transparence au soupçon », glisse un haut fonctionnaire du Trésor, soucieux de rappeler que l’objectif n’est pas de créer de nouvelles charges mais de faire correspondre l’impôt aux revenus effectivement perçus.
La taxe forfaitaire de 4 FCFA, premier jalon politique
En attendant la mise en service du dispositif technique, la loi de finances 2025 a introduit une contribution de 4 FCFA sur chaque opération d’envoi ou de réception effectuée via mobile money. Le gouvernement table sur 15 milliards de FCFA de recettes supplémentaires la première année d’application. Les discussions avec les opérateurs, qui redoutent une perte d’attractivité auprès de la clientèle rurale, se poursuivent néanmoins au sein d’un comité ad hoc chargé d’évaluer les effets redistributifs de la mesure.
Sur le plan politique, cette taxe est présentée comme un compromis : elle crée un rendement immédiat, tout en préparant les usagers et les entreprises à l’idée d’un contrôle renforcé, sans recourir à un taux punitif qui menacerait l’inclusion financière.
Enjeux régionaux et précédents africains comme boussole
L’expérience kényane, souvent citée à Yaoundé, montre qu’une fiscalité incisive mal calibrée peut provoquer un report des transactions sur des circuits informels. À l’inverse, l’Ouganda a récemment réduit de moitié sa surtaxe sur le mobile money après avoir constaté un recul des volumes. Souhaitant éviter ces écueils, le Cameroun mise sur une concertation serrée avec la Banque des États de l’Afrique centrale afin d’harmoniser les règles au niveau sous-régional et de prévenir les arbitrages réglementaires des opérateurs.
De plus, la Commission de la CEMAC examine un projet de directive visant à encadrer la circulation transfrontalière des données, question centrale pour un système de suivi des transactions appelé à capter des flux opérés à l’extérieur du territoire national.
Entre confiance numérique et protection des données
Reste posé le défi de la confiance. Les organisations de défense des droits numériques recommandent que les logiques de souveraineté fiscale soient conciliées avec le strict respect de la loi camerounaise sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel. Interrogé sur le sujet, un cadre d’Antic, l’agence nationale en charge de la sécurité informatique, souligne qu’« aucun dispositif de collecte ne sera branché sans audit préalable et chiffrement bout-en-bout ». Un discours destiné à rassurer des consommateurs déjà sollicités par la hausse des prix des services et soucieux de la confidentialité de leurs transactions.
Cap sur 2028 : un nouveau pilier de mobilisation budgétaire
Selon le cadrage macro-budgétaire annexé au plan 2026-2028, la traçabilité du mobile money figure parmi les six actions majeures susceptibles d’améliorer le taux de pression fiscale de près d’un point de PIB d’ici à la fin de la décennie. Pour les bailleurs multilatéraux, souvent critiques sur la faiblesse de la mobilisation intérieure des ressources, ce chantier constitue un signal positif : le Cameroun entend capitaliser sur l’innovation technologique tout en préservant la dimension inclusive qui a fait le succès du mobile money en Afrique centrale.