Une longévité présidentielle façonnée par l’histoire institutionnelle
Le chef de l’État camerounais a choisi, dans la nuit du 13 juillet 2024, la sobriété d’un communiqué numérique pour lever un suspense que d’aucuns jugeaient davantage médiatique que politique. « Je suis candidat à l’élection présidentielle du 12 octobre 2025 », a-t-il écrit, rappelant aussitôt la « mission sacrée » d’assurer sécurité et bien-être. Depuis son accession au pouvoir le 6 novembre 1982, Paul Biya a su inscrire son action dans la continuité des institutions, amendées en 2008 pour supprimer la limitation du nombre de mandats. Les diplomates en poste à Yaoundé soulignent que cette architecture constitutionnelle, couplée à l’ancrage du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, confère au président une base juridique incontestée.
À 93 ans, le doyen des dirigeants d’Afrique centrale mobilise un capital d’expérience qui, pour ses soutiens, demeure un atout dans un environnement international volatil. Aux yeux des chancelleries européennes, la constance camerounaise apparaît comme un facteur de stabilité dans la sous-région, à l’heure où plusieurs pays voisins ont été confrontés à des transitions plus brusques.
Opposition fragmentée, calendrier électoral et dynamique de participation
L’annonce présidentielle réactive un échiquier politique où l’opposition doit composer avec des lignes de fracture anciennes. Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun de Maurice Kamto, qui conteste encore les résultats de 2018, n’a pas confirmé son cheval de bataille pour 2025. Dans le même temps, les partis traditionnels anglophones, tels le SDF, cherchent un nouveau souffle alors que la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pèse sur leurs campagnes.
Le fichier électoral, en révision depuis février, compte près de sept millions d’inscrits selon Elections Cameroon. Les observateurs de l’Union africaine s’attendent à une hausse de la participation, portée par une jeunesse plus connectée que jamais. Reste que la culture du consensus, évoquée par le président sortant, pourrait limiter la possibilité d’une coalition unique de l’opposition, morcelée entre stratégies de boycottage et volonté d’engagement institutionnel.
Sécurité intérieure : du front septentrional aux tensions anglophones
Au septentrion, la menace résiduelle de Boko Haram continue de mobiliser les forces armées. Si les grandes offensives de 2014-2015 appartiennent au passé, les incursions sporadiques dans l’Extrême-Nord rappellent la nécessité d’une vigilance permanente. Les experts du Comité du bassin du lac Tchad notent que la coopération transfrontalière, notamment avec le Tchad et le Nigeria, a permis une baisse significative des incidents depuis 2022.
Plus au sud-ouest, la crise anglophone demeure le dossier le plus sensible. Les propositions de décentralisation avancées par Yaoundé, couplées à la création de régions dotées de conseils élus, ont amorcé un début de désescalade, sans pour autant éteindre la contestation séparatiste. Pour la campagne qui s’ouvre, le chef de l’État promet de « consolider les acquis de la paix », tandis que les partenaires internationaux exhortent à un dialogue inclusif respectueux de l’unité nationale.
Impératifs économiques et attentes sociales grandissantes
Sur le front macro-économique, le Cameroun affiche une croissance estimée à 3,8 % par la Banque mondiale pour 2024, portée par la remontée des cours du pétrole et l’essor de l’agro-industrie. Néanmoins, l’inflation, stabilisée autour de 6 %, érode le pouvoir d’achat. Le gouvernement a multiplié les mesures de soutien, du plafonnement des prix de denrées de base à la bonification des engrais, afin de préserver la cohésion sociale à l’approche du scrutin.
Le chef de l’État, dans son message, reconnaît « qu’il reste beaucoup à faire ». Les partenaires au développement insistent sur la nécessité d’accélérer les réformes de gouvernance budgétaire et de renforcer l’environnement des affaires. Autant de chantiers que Paul Biya a placés sous le sceau d’une « résilience partagée », misant sur des projets d’infrastructures structurants, du complexe portuaire de Kribi à la modernisation du corridor Douala-Ndjamena, axe névralgique pour les échanges avec les pays enclavés de la CEMAC.
Stabilité régionale et rôle pivot de Yaoundé
Au-delà des frontières, la candidature de Paul Biya interpelle partenaires et voisins, conscients du rôle pivot du Cameroun dans la surveillance du golfe de Guinée. La coopération maritime, notamment dans la lutte contre la piraterie, reste saluée par les commandements navals occidentaux. La présidence camerounaise entend, selon un conseiller joint par téléphone, « poursuivre la diplomatie de concertation qui fait la marque de Yaoundé ».
Sur le plan continental, la voix de Paul Biya pèse dans les discussions sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies ou sur la Zone de libre-échange continentale africaine. Les analystes rappellent que sa longue expérience lui permet d’arbitrer, en coulisses, des différends parfois latents entre États d’Afrique centrale, contribuant à une stabilité essentielle pour les corridors économiques partagés avec le Congo-Brazzaville et les autres partenaires de la sous-région.
Perspectives électorales et horizon 2025
À quinze mois du scrutin, la trajectoire du Cameroun se joue à la fois dans les urnes et dans la capacité des institutions à canaliser le pluralisme politique. La Commission nationale des droits de l’homme a déjà lancé des ateliers de sensibilisation au vote apaisé, tandis que les organisations de la société civile réclament un accès équitable aux médias pour tous les candidats.
Pour la communauté diplomatique, la campagne qui s’ouvre doit servir de catalyseur à un débat de fond sur la diversification économique, la transition climatique et la cohésion nationale. Le président sortant, fort d’un bilan qu’il juge « solide malgré les épreuves », parie sur la continuité pour relever ces défis, estimant que « ensemble, il n’est pas de défis que nous ne puissions surmonter ». Les électeurs auront le dernier mot le 12 octobre 2025, au terme d’une séquence qui, quoi qu’il advienne, comptera dans l’histoire politique contemporaine du Cameroun.