La carte rose Cemac, pilier de la mobilité régionale
La carte rose Cemac, obligatoire dans les six États de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale depuis juillet 2000, accompagne chaque attestation d’assurance automobile. Elle concrétise une vision de libre circulation qui remonte au protocole d’accord signé à Libreville en juillet 1996.
En théorie, le document garantit qu’un automobiliste congolais impliqué dans un accident à Douala ou à Bangui bénéficie d’un règlement de sinistre rapide et équitable. En pratique, méconnaissance et tracasseries subsistent, ce qui entrave l’intégration économique prévue par les chefs d’État.
Robert André Elenga, artisan de terrain
À Brazzaville, le secrétaire permanent du bureau national, Robert André Elenga, a décidé d’aller au-delà des circulaires. Installé dans le quartier Moungali, il multiplie réunions, émissions radio et distributions de prospectus pour expliquer aux conducteurs l’utilité concrète de la carte rose.
« Un papier non reconnu par un policier peut anéantir un investissement familial », rappelle-t-il lors d’une séance de sensibilisation. Son argumentaire s’appuie sur des exemples de véhicules confisqués à la frontière camerounaise faute de validation du document, malgré une prime d’assurance régulièrement payée.
Enjeux juridiques et économiques
L’assurance de responsabilité civile automobile vise avant tout à indemniser les victimes d’accidents. Dans l’espace Cemac, la carte rose harmonise cette protection et réduit le risque de procédures contradictoires entre assureurs. Par sa dimension transfrontalière, elle rassure investisseurs logistiques et transporteurs régionaux.
Une étude interne du Conseil des bureaux, citée par M. Elenga, signale que les délais de règlement passent de huit mois à moins de soixante jours dès lors que la carte est acceptée sans réserve. Cette performance renforce l’attractivité des corridors Pointe-Noire – Ndjamena.
Reconnaissance par les forces de l’ordre
Le succès du dispositif dépend en grande partie de la police routière. À cet égard, le bureau pays organise des séances pratiques avec les brigades mobiles pour examiner les hologrammes et codes sécurisés. L’objectif est de réduire les malentendus à un simple contrôle documentaire.
Des inspecteurs témoignent que, par manque d’information, certains agents confisquaient encore le document en le confondant avec une assurance sous-régionale périmée. La diffusion d’affiches officielles portant l’effigie des logos nationaux devrait désormais limiter les situations où l’usager subit une double pénalité.
Intégration et diplomatie économique
La carte rose s’inscrit dans le projet plus large de marché commun envisagé par la Cemac. Selon un haut fonctionnaire du ministère congolais des Finances, son application « envoie un signal de cohérence réglementaire aux partenaires extérieurs » et facilite la négociation d’accords d’investissement.
Les transporteurs transfrontaliers, souvent premiers ambassadeurs économiques, soulignent que la réduction des litiges douaniers renforce la compétitivité des ports congolais. La carte rose devient alors un maillon discret, mais stratégique, du plan national de diversification, soutenu par les autorités pour réduire la dépendance pétrolière.
Défis persistants et pistes d’amélioration
Malgré les avancées, le coût de la sensibilisation reste élevé pour les bureaux nationaux, financés essentiellement par les cotisations des assureurs. Robert André Elenga plaide pour une ligne budgétaire régionale récurrente, estimant qu’une communication pérenne constitue « un investissement moindre qu’un seul conflit d’indemnisation ».
Un autre défi concerne la digitalisation. Le Conseil des bureaux étudie un format dématérialisé, accessible par code QR, qui réduirait la falsification. Les conducteurs, déjà familiers des applications mobiles de suivi d’itinéraire, pourraient y trouver un outil de vérification instantanée auprès des forces de l’ordre.
La modernisation nécessitera toutefois une interconnexion sécurisée des bases de données nationales. Pour un expert en cybersécurité basé à Pointe-Noire, la réussite du projet dépendra de la capacité à « garantir que chaque police soit authentifiée sans exposer les informations personnelles » des assurés.
Vers une appropriation citoyenne
La campagne actuelle ne vise pas seulement les transporteurs professionnels. Écoles de conduite, fédérations de taximen et associations de victimes d’accidents participent aux ateliers. Cette approche inclusive pourrait, selon les observateurs, transformer la carte rose en un symbole quotidien d’intégration plutôt qu’en obligation administrative.
A Brazzaville, certains automobilistes interrogés déclarent avoir découvert le document grâce aux réseaux sociaux relayant les spots du bureau. L’initiative suggère que la communication institutionnelle peut s’adapter aux usages numériques locaux, sans renoncer à la rigueur qu’exige un sujet mêlant assurance, droit et mobilité.
Cap sur 2025
Le Conseil des bureaux a fixé un objectif: que, d’ici fin 2025, la carte rose soit spontanément réclamée par tout automobiliste franchissant une frontière Cemac. Pour Robert André Elenga, la réussite passera par une pédagogie constante, seule capable d’enraciner la culture du risque partagé, efficace et durable.
Perspectives régionales
Dans les capitales voisines, des initiatives similaires émergent. À Libreville, le bureau gabonais teste des kiosques d’information dans les gares routières, tandis qu’à Yaoundé les compagnies proposent une remise aux conducteurs présentant la carte. Cette émulation crée un climat favorable à l’alignement réglementaire.
Pour les diplomates observant la région, la montée en puissance de la carte rose illustre une gouvernance par petits pas, où l’harmonisation technique précède souvent l’unification politique. Suivre son déploiement offre donc un baromètre concret de la capacité des États à mutualiser leurs normes.
