Violences récurrentes malgré les cessez-le-feu
À peine l’encre des accords de Washington puis de Doha était-elle sèche que les collines de Rutshuru et Masisi renouaient avec le fracas des armes. Entre le 9 et le 21 juillet, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme affirme avoir recueilli des témoignages concordants sur l’exécution d’au moins 319 civils par des combattants du M23, appuyés, selon ces mêmes sources, par des éléments des Forces de défense du Rwanda. Parmi les victimes figurent quarante-huit femmes et dix-neuf enfants qui avaient, ironie douloureuse du calendrier agricole, trouvé refuge dans leurs propres champs à l’heure des semailles. L’émissaire onusien, Volker Türk, s’est déclaré « consterné par cette flambée de violence », rappelant que « toutes les attaques contre les populations civiles doivent cesser immédiatement ».
L’intensité de ces affrontements représente l’un des bilans les plus lourds depuis la réapparition du M23 en 2022. Elle trahit un décalage inquiétant entre les engagements diplomatiques et leur traduction sur le terrain, phénomène récurrent dans l’est congolais où l’effet d’annonce peine à contenir la logique des armes.
Le poids des accords de Washington et de Doha
Le 27 juin, Kigali et Kinshasa s’étaient accordés à Washington sur une feuille de route bilatérale présentée comme un jalon décisif vers la désescalade. Moins d’un mois plus tard, le 19 juillet, le gouvernement congolais et la direction politique du M23 paraphaient la Déclaration de Doha, promettant cessation immédiate des hostilités et cadre de dialogue. Ces textes, facilités par les États-Unis, le Qatar et la Communauté d’Afrique de l’Est, s’inscrivaient dans la lignée des mécanismes régionaux lancés depuis 2022, dont la force est-africaine déployée dans le Nord-Kivu.
Sur le papier, la séquence aurait pu symboliser le retour de la diplomatie préventive. Dans les faits, les observateurs humanitaires constatent « une persistance des foyers de violence, voire une aggravation », selon les mots d’une responsable de Médecins sans frontières présente à Goma. Déficit de confiance, mécanismes de vérification embryonnaires et manque d’incitations pour les belligérants freinent la mise en œuvre. La multiplication d’acteurs extérieurs complique encore la donne : chaque initiative se superpose à la précédente, créant un mille-feuille normatif difficile à rendre opérationnel.
Multiplication des acteurs armés et impact civil
Dans le sillage du M23, un kaléidoscope de groupes, de l’Allied Democratic Forces aux milices CODECO et Raia Mutomboki, poursuivent leur stratégie d’attrition des villages. Le 27 juillet, l’attaque d’un lieu de culte à Komanda par l’ADF a coûté la vie à quarante fidèles, dont treize enfants. Plus tôt, soixante-dix civils avaient péri à Pikamaibo. Les miliciens Wazalendo se sont, de leur côté, livrés à des violences sexuelles à Busolo, rappelant que le corps des femmes demeure un champ de bataille invisible mais systématique.
Cette fragmentation brouille les lignes de front et dilue la responsabilité politique. L’armée congolaise, sollicitée sur plusieurs théâtres simultanément, peine à garantir la sécurité des couloirs humanitaires, tandis que la Mission de l’ONU, la MONUSCO, voit son mandat contesté localement, à l’heure même où son retrait progressif est discuté.
Conséquences humanitaires majeures dans les Kivus
Les chiffres dressent un tableau d’urgence absolue : 7,8 millions de personnes déplacées internes, 28 millions en insécurité alimentaire et, selon le Programme alimentaire mondial, un risque de suspension des distributions faute de financement. Les structures sanitaires ne sont guère mieux loties ; le Fonds des Nations unies pour la population recense trente-trois attaques contre des centres de santé sur les six premiers mois de 2025, soit une hausse vertigineuse de 276 %.
Les flux de réfugiés en provenance du Soudan du Sud, plus de 30 000 depuis avril, exercent une pression supplémentaire sur Ituri. Dans les camps, des épidémies de rougeole et de choléra menacent des populations déjà fragilisées. « La crise qui se joue ici est l’une des plus aiguës au monde, mais aussi l’une des moins financées », déplore un diplomate européen en poste à Nairobi.
Responsabilité internationale et pistes diplomatiques
La tentation d’une lecture purement sécuritaire occulte souvent la dimension politique du conflit. Si la rhétorique de la condamnation est un passage obligé, elle ne saurait remplacer des mécanismes de suivi vérifiables. Plusieurs diplomates africains appellent désormais à renforcer les synergies entre la Force régionale et l’Union africaine afin de mutualiser renseignement et logistique, proposition accueillie favorablement à Addis-Abeba mais encore sans calendrier.
Parallèlement, l’implication de Kigali est au cœur des tractations. Les chancelleries occidentales reconnaissent à demi-mot que la paix durable suppose une prise en compte des préoccupations sécuritaires rwandaises concernant la présence des FDLR, tout en garantissant la souveraineté de Kinshasa. L’équation reste délicate mais pas insoluble, pour peu que les garants de Washington et de Doha traduisent leurs engagements financiers et politiques en mesures palpables sur le terrain.
Au moment où la communauté internationale se prépare à d’autres crises, de Gaza au Sahel, l’est congolo-rwandais rappelle qu’un cessez-le-feu n’a de valeur que s’il est adossé à une architecture de paix robuste, inclusive et financée. Faute de quoi, les accords continueront de crépiter au rythme des rafales qu’ils prétendent éteindre.