Ce qu’il faut retenir
La désignation d’Ezéchiel Nibigira à la tête de la Commission de la CEEAC, le 7 septembre 2025 à Malabo, ouvre un quinquennat décisif pour l’intégration politique, la sécurité et la relance commerciale au cœur de l’Afrique centrale.
Entre attentes des chefs d’État, exigences des opérateurs privés et aspirations d’une jeunesse majoritaire, le diplomate burundais devra accélérer l’application des décisions existantes plutôt que multiplier les feuilles de route, tout en trouvant des financements innovants.
Une session extraordinaire sous haute attention
Réunis sous la présidence de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, les onze chefs d’État ont consacré une journée entière à la succession de Gilberto Da Piedade Verissimo, confirmant que la gouvernance institutionnelle conditionne désormais la crédibilité de la CEEAC auprès des partenaires continentaux et extérieurs.
Le communiqué final reprend les priorités classiques : libre circulation, union douanière, paix. Il insiste toutefois sur un calendrier resserré, avec des revues semestrielles présidées par le Gabon, chargé du suivi, signal d’une volonté de passer du discours à la méthode.
Portrait d’Ezéchiel Nibigira, diplomate de consensus
Ancien ministre burundais des Affaires étrangères, passé ensuite au portefeuille de la Communauté est-africaine, Ezéchiel Nibigira a tissé des réseaux au-delà des blocs régionaux, forgeant une réputation de négociateur discret, capable de faire converger les positions d’Angola, de RDC et du Congo-Brazzaville.
Proche du président Évariste Ndayishimiye, le quinquagénaire revendique un leadership basé sur l’écoute. « Je mesure l’ampleur des attentes », a-t-il déclaré à Malabo, promettant un secrétariat exécutif plus ouvert aux organisations patronales et aux réseaux de femmes entrepreneures.
Les dossiers chauds sur la table de la Commission
Sur le plan institutionnel, le nouveau président veut finaliser le transfert effectif des compétences de l’ancienne Secrétaire générale vers la Commission, entamé en 2020, et harmoniser les procédures budgétaires pour réduire les retards de décaissement qui paralysent les projets transfrontaliers.
La réforme du mécanisme de contributions obligatoires sera discutée dès le premier trimestre 2026 ; plusieurs États, dont le Tchad et Sao Tomé-et-Principe, affichent des arriérés supérieurs à douze mois, tandis que le Congo-Brazzaville respecte ses engagements depuis 2023.
Sécurité collective : de la théorie à la mutualisation
La Force multinationale d’Afrique centrale, créée pour intervenir en cas de crise, demeure sous-financée. Malabo a proposé un fonds de stabilisation alimenté par une taxe régionale sur les exportations de minerais stratégiques. Nibigira devra convaincre les parlements nationaux de ratifier le dispositif.
Les attentats sporadiques dans l’extrême-nord camerounais et les tensions récurrentes à la frontière RCA-Tchad rappellent l’urgence. « Sans sécurité, l’intégration reste un slogan », résume le chercheur gabonais Guy Moussavou, appelant à renforcer la coopération avec la CEMAC et l’Union africaine.
Accélérer les échanges intra-régionaux
Les échanges commerciaux intra-CEEAC représentent à peine 3 % du commerce total de la sous-région, loin derrière la moyenne continentale. Les corridors routiers Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui-Ndjamena et Lobito-Dilolo-Kolwezi figurent parmi les projets dont le bouclage financier reste prioritaire.
Au siège de Libreville, l’équipe de la Commission planche sur un dispositif de guichet unique numérique commun, inspiré de l’EAC, afin de réduire les délais de dédouanement. La Banque africaine de développement s’est dite prête à cofinancer la plateforme.
Financer la transformation durable
La CEEAC dispose depuis 2024 d’un mécanisme carbone issu des programmes REDD+ dans les forêts du bassin du Congo. Sous l’impulsion du Congo-Brazzaville, il génère des crédits certifiés vendus sur les marchés volontaires, offrant une nouvelle source de revenus régionaux.
Nibigira souhaite coupler ces ressources vertes à des obligations d’intégration, inspirées des blue bonds des Seychelles. Leur produit financerait les télécoms inter-capitaux, l’interconnexion électrique et les écoles techniques régionales, créant un lien direct entre investisseurs et bénéficiaires locaux.
Congo-Brazzaville, acteur pivot de l’intégration
Pays d’accueil du siège historique de la CEEAC jusqu’en 2019, le Congo-Brazzaville reste un maillon clé. Ses infrastructures portuaires de Pointe-Noire et ses réformes récentes sur le climat des affaires servent de modèle pour le futur marché commun.
Le président Denis Sassou Nguesso a salué l’élection d’Ezéchiel Nibigira et réaffirmé la disponibilité de Brazzaville à appuyer la nouvelle équipe, notamment via l’École supérieure régionale de cybersécurité inaugurée en août 2024.
Quelle articulation avec l’Union africaine ?
La ratification du traité révisé de la CEEAC en 2022 a aligné l’organisation sur le schéma continental de la Zone de libre-échange africaine. Reste à rendre complémentaires les agendas pour éviter la duplication des comités et garantir une représentation unique dans les forums globaux.
Selon l’ancien commissaire camerounais Mahamat Sanoussi, une « task-force » conjointe UA-CEEAC pourrait voir le jour d’ici 2027 pour piloter l’harmonisation des normes de certification industrielle, étape indispensable à la compétitivité des PME régionales.
Et après ? Premiers chantiers prioritaires
Les cent premiers jours du mandat seront scrutés. Le secrétariat prépare déjà une tournée dans chaque capitale pour recueillir les attentes sectorielles, tandis qu’un tableau de bord public affichera chaque trimestre l’état d’avancement des décisions, une innovation saluée par la société civile.
La vitalité de l’intégration dépendra enfin de la capacité des États à parler d’une seule voix dans le débat sur la réforme financière de l’Union africaine, prévu en 2026. Le succès ou l’échec de cette synergie scellera l’héritage du président Nibigira.
