Un geste collectif inédit dans le DDRR centrafricain
La cour poussiéreuse du camp de Bambari a résonné d’un silence inhabituel lorsque cinq cents anciens combattants de l’Union pour la paix en Centrafrique ont déposé fusils d’assaut et chargeurs. Devant les représentants du gouvernement, de la Mission des Nations unies (MINUSCA) et de la société civile, ce renoncement public à la lutte armée a été salué comme « une rupture symbolique avec une décennie de violences éruptives » par Patrice Vahard, chef de la division des droits de l’homme de la MINUSCA. L’opération, inscrite dans le programme national de Désarmement, Démobilisation, Réintégration et Rapatriement (DDRR), constitue, de l’aveu même d’un diplomate ouest-africain présent, « la plus importante remise volontaire d’armes depuis l’Accord de Khartoum de 2019 ».
Entre applaudissements officiels et scepticisme des populations
À Bangui, le porte-parole du gouvernement Maxime Balalou a loué « la clairvoyance d’anciens belligérants qui tournent la page de la clandestinité armée pour écrire celle de la reconstruction nationale ». Cet enthousiasme n’efface cependant ni la mémoire des exactions dans la Ouaka ni la méfiance qui saisit les habitants chaque fois qu’une moto traverse la ville sans plaque. Dans les quartiers musulmans de Bambari, certains commerçants redoutent déjà de subir des représailles d’autres factions, tandis que les déplacés installés autour de la cathédrale Saint-Joseph doutent de la pérennité de l’engagement : « Nous avons vu trop de cérémonies filmées finir dans des attaques nocturnes », confie sœur Angélique Namaika, responsable d’un centre d’accueil.
La réinsertion, talon d’Achille d’un processus en quête de crédibilité
Les signataires reçoivent un kit de démarrage, une allocation transitoire et, en théorie, une formation professionnelle. Or, faute de financement pérenne, les ateliers d’agro-transformation et de maçonnerie ouverts depuis 2020 fonctionnent en sous-régime. Selon un rapport interne de la Banque mondiale, à peine 37 % des ex-combattants intégrés au premier cycle du DDRR ont trouvé une activité génératrice de revenus durable. Le risque de re-mobilisation est donc loin d’être théorique. « Sans débouché économique, la kalachnikov reste le curriculum vitæ le plus court et le plus rentable », avertit Jared Miller, analyste pour l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project.
Besson et la brûlure persistante du front occidental
Au même moment, cent cinquante kilomètres plus à l’ouest, le village de Besson s’embrase sous les tirs croisés de groupes rivaux pour le contrôle des couloirs de transhumance. Les combats du 21 avril, qui ont fait au moins vingt-deux morts d’après les autorités locales, rappellent la coexistence de théâtres de conflit distincts où les dynamiques de paix ne progressent pas au même rythme. La MINUSCA déploie des patrouilles dissuasives, mais la densité du maquis forestier et la porosité des frontières avec le Cameroun compliquent un verrouillage sécuritaire durable.
Une équation humanitaire sous tension permanente
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires estime à 3,4 millions le nombre de Centrafricains ayant besoin d’assistance, soit plus de la moitié de la population. Les récents déplacements autour de Besson accroissent la pression sur les maigres stocks alimentaires de la région. Le Programme alimentaire mondial, confronté à un déficit de financement de 32 millions de dollars, a réduit de 40 % les rations distribuées depuis janvier. « Le succès du désarmement se mesurera aussi à notre capacité à transformer les victoires sécuritaires en dividendes humanitaires », souligne Denise Brown, coordonnatrice humanitaire de l’ONU à Bangui.
La diplomatie régionale entre incitations et garanties
Face à une mosaïque d’acteurs où se croisent influences russes, françaises, rwandaises et soudanaises, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale cherche à réaffirmer sa médiation historique. Lors de sa visite à Bangui, le président congolais Félix Tshisekedi a proposé l’envoi d’un groupe de contact régional destiné à accompagner la mise en œuvre locale de l’Accord de Khartoum. D’un point de vue diplomatique, cette « codétente » régionale pourrait offrir des garanties supplémentaires aux groupes hésitant à rendre les armes, à condition que les bailleurs s’engagent sur des enveloppes budgétaires spécifiques pour la phase de réintégration.
Perspectives : entre justice transitionnelle et réhabilitation sociale
Les anciens membres de l’UPC sont attendus devant la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation installée en 2022. Le défi est double : statuer sur les crimes commis sans décourager l’adhésion au processus. Inspiré du modèle sierraléonais, le mécanisme centrafricain prévoit des audiences publiques assorties de mesures de réparation communautaire. L’ambition est de passer d’une logique de vengeance à une justice restaurative capable de cimenter le vivre-ensemble. Bien que la tâche soit herculéenne, elle demeure, selon l’analyste centrafricain Roland Marchal, « l’unique sentier praticable vers une paix consolidée, faute d’alternative crédible dans un tissu social morcelé ».
Un silence armé qui réclame le souffle long de la solidarité
Le dépôt d’armes de Bambari résonne comme un prélude plutôt que le final d’une partition complexe. Pour que ce silence des fusils ne soit pas un simple point d’orgue, il faudra arrimer la démobilisation à des projets économiques solides, ancrer la justice transitionnelle dans la proximité des communautés et maintenir la vigilance des partenaires extérieurs. La Centrafrique offre à la diplomatie africaine un laboratoire exigeant où se réinventent, sous le regard circonspect des chancelleries, les paramètres de la paix post-conflit.